Elle court, le provoque, repart se cacher dans les hortensias. Elle veut jouer. Toujours faire le dos rond, il aime ça. Montrer que c’est elle, la patronne. Ca le fait rire. Il lui court derrière en criant son nom. Il veut l’attraper, n’y parvient pas. C’est elle, la plus forte. Elle a disparu. Il la cherche, la cherche encore, la trouve dans les hortensias. Il se baisse. Aussitôt, elle va derrière la cabane en bois. Elle est hors d’atteinte. Elle veut jouer, non se faire attraper. Elle est mauvaise perdante.
Elle a une meilleure condition physique que lui. Avec désinvolture, elle le lui fait comprendre, s’amuse de sa lenteur, sait qu’elle ne risque rien. Ca va mieux pour lui. Avant, le moindre petit effort le faisait souffler. Comme il restait tout le temps dans sa chambre, ne sortant qu’occasionnellement, il a fini par engraisser, pesant plus de cent kilogrammes. Il avait ressenti ça comme une déchéance. Incapable de s’accroupir sans perdre l’équilibre. Au quotidien, accomplir certains gestes, c’était devenu difficile. Des cousins, devant certaines de ses photos, avaient fait la remarque. Ca avait parlé sur sa gueule, dans la famille. Sa mère avait tenté de le mettre en garde. Qu’il se laissait aller. Que bientôt, il ne pourra plus s’habiller correctement. Qu’on finirait par rire de lui. Il l’avait mal pris. Mais depuis l’adoption de Clémentine, elle est contente, elle le voit revivre. Il est à nouveau capable de courir, de s’accroupir. Il a perdu un peu de poids. Ce n’est pas non plus un athlète. Ni une gravure de mode. Il est juste un peu mieux dans sa peau.
Elle les entend jouer. Ils se courent derrière, grimpent les escaliers, redescendent, ressortent dans le jardin, rentrent à nouveau. Tantôt, il la poursuit, tantôt, c’est lui qui est poursuivi. Ils adore ses manières. Il les trouve irrésistibles. Elle le malmène et il l’aime. A certains moments, alors qu’il a le dos tourné, elle en profite. Elle attend un peu, remue les fesses, court, saute, lui attrape les jambes et file avant qu’il ait réagi. Alors il rigole. Ca s’entend partout.
Celle qui s’en plaint le plus, c’est la voisine. Surtout que cette saloperie de chat a pris l’habitude de venir dans son jardin. Sa propriété privée. Non seulement, ils font du bruit, beaucoup de bruit, ça lui cause des migraines atroces, mais en plus, ils sont incapables de dresser leur foutu animal. Et on s’étonne que tant de chats se fassent empoisonner par des voisins excédés. Elle ne l’approuve pas. Elle aime les animaux. Les gens qui abandonnent leur chien ou leur chat, ça la met en colère. Elle comprend, c’est tout. Elle supporte suffisamment leur existence, leurs éclats de voix. Elle supporte de plus en plus mal leur récupérateur d’eau qui, probablement, est à l’origine de la fissure sur son mur, récupérateur qu’ils ont installé sans lui demander l’autorisation. Elle supporte le plus dignement du monde leurs hortensias, leur cabane en bois, leur pelouse pleine de mauvaises herbe, le pourpier qu’ils font pousser. Et il faudrait, en plus de ça, supporter leur chat à la con.
Pour une raison mystérieuse, il a subitement mis un terme à leur jeu. Pourtant, ils s’amusaient tellement. Pourquoi ? Ca s’est passé si vite. Sans transition. Elle rentre, sur ses gardes, le cherche dans le salon, quand soudain, de derrière un fauteuil, elle le voit surgir. C’était une ruse, pour l’attirer à lui, pouvoir l’attraper. Alors elle fait demi-tour, se précipite dans les hortensias. Il la poursuit en criant son nom. Et ça rigole, ça rigole. Elle finira par porter plainte pour tapage diurne. Que fait-il dans la vie ? Pas grand-chose. Il engraisse. Il est sans emploi. Et elle a beau ne pas aimer sa voisine, elle la plaint. Avoir un tel échec sous son toit, c’est dur. Son fils à elle, il fait des études de médecine. Il aura une femme, des enfants, qu’elle espère tous beaux, une grande voiture, une position sociale et, le plus important, l’estime des autres. Il ne sera pas une loque incapable de quoi que ce soit, comme l’autre looser, qui joue à chat avec son chat. Elle l’a élevé à la dure. Elle lui a donné tout ce dont il avait besoin. Elle l’a éloigné de la mauvaise influence de son père. Elle est fière de lui.
Quel plaisir de vous lire… il y a de la vie, merci
Merci à vous. J’ai adoré l’écrire et, justement, mettre en avant la vie autour de mes personnages.
La clémence de Clémentine qui elle ne juge pas est une aubaine, elle joue pour l’attirer dehors. Si elle se sauve plus loin, peut-être que la vie solitaire du Joueur pourrait changer. Comme dans le film » Chacun cherche son chat ». La voisine n’aurait plus grand chose à se mettre sous sa dent dure, si elle ne pouvait plus comparer sa crème de fils bien éduqué à ce garçon étrange et confiné qui caracole dans ses hortensias.
Merci. Je regarderai ce film, ça m’intéresse. J’aime beaucoup les chats. Il y a une absence de jugements, oui. Vivre avec un chat, c’est magique.
https://www.youtube.com/watch?v=UC7RWN-sGMg&t=24s