Ne pas se retourner. Ne pas s’arrêter. Ça claque, ça crécelle. Victor peine à pédaler perché sur un vélo bien trop grand pour lui. Droite, gauche, droite, il zigzague. Une feuille de journal s’est prise dans la roue arrière. Il entend : pédale, pédale, faut atteindre les petites rues. Tout résonne à ses tempes. Il se camoufle entre ses deux compagnons. Trois silhouettes en bleu de travail qui bientôt se sépareront aux abords de la base militaire. Lui ira vers l’océan à la recherche d’une embarcation.
Blanche le regarde partir baluchon sur le dos et béret enfoncé jusqu’aux yeux. Elle lui a préparé quelques provisions et un peu d’eau. Elle ne saura jamais la distance qu’il parcourra. Il n’a pas voulu lui dire précisément. Par l’entrebâillement de la porte elle agite la main jusqu’à ce qu’il disparaisse. Jusqu’au bout de la nuit elle a espéré remonter le temps, renverser le destin. Main contre le cœur elle en ralentit les battements.
Marcel s’agrippe au guidon. Il ne dira pas que c’est une mauvaise idée. Que ce vélo n’a pas plus de valeur pour Victor que pour son propriétaire. Qu’ils risquent de se faire remarquer. Ne pas attirer l’attention, il le répète si souvent. Son cœur bat. Une cacophonie assourdissante des veines. Il attrape du regard la ligne d’horizon, il ne dira pas un mot jusqu’à leur destination.
Non il n’était pas accroché, il était dans l’allée. Devant ma porte. Il est passé par-dessus le portail, c’est sûr.
Non je n’ai rien entendu.
C’est peut-être qu’un emprunt mais j’suis obligé de le signaler. C’est mon outil de travail, c’est pour ça. J’suis facteur.
Ben un vélo classique. En fer blanc. La selle haute. J’ai décroché les sacoches hier soir.
Ce matin ? Eh bien il était cinq heure.