Tu pensais supprimer la vieille. Écris plutôt ce que tu as vu, écrit et raturé aussi sec. Ça vaudra mieux que tes histoires de quasar et d’oignons. Écris ce que tu as vu, captif, dans le manche de la poêle à frire où Delphine a sciemment laissé brûler des oignons. Écris : un visage aux yeux vides et sans dents. Le visage hurlant et déformé de la vieille. De toute évidence, Delphine est sa petite fille.
Madame B. avait réservé une chambre pour deux le jour même. Elle est arrivée seule finalement. Il était tard, l’équipe de nuit avait pris son service. Elle n’avait aucun bagage. Sa démarche était incertaine, mais elle s’exprimait avec beaucoup de fermeté. On lui a donné la clef de la 23. Une chambre avec vue sur le mont Talusse. Elle a appelé l’ascenseur, puis s’est dirigée vers les escaliers.
C’est moi qui raconte mes plans cul d’habitude. Delphine écoute. Elle sermonne gentiment, mais ne semble pas plus intéressée que ça. Mickaël et Delphine ça ne se raconte pas. C’est calé depuis la première année de fac. J’essaye un peu de savoir s’ils baisent encore. Elle me répond randonnées pédestres et kayak, paysages magnifiques et repos réparateur. Je me demande si Michel n’est pas impuissant. La frangine a toujours été comme ça. Elle ne parle pas de cul. Cette fois, c’est différent. Je suis presque mal à l’aise. Ma sœur a les joues rouges. Son corps est plus souple. Ses yeux brillent. Elle me fait lire les messages qu’elle échange avec Mat23. Ce qu’écrit ma sœur ne ressemble pas à ma sœur. En quelques semaines, ils sont passés de « qu’est-ce que tu deviens ? » à « tu voudrais me faire quoi mon gros loup aujourd’hui ?». Elle en est la première surprise. À aucun moment elle n’évoque Mickaël. Je n’ose pas aborder le sujet.
Les filles et moi, on l’appelle Madame Delphine. Globalement, c’est une patronne sympa. On n’a pas à s’en plaindre. Après les soldes, elles nous invitent même au restaurant. On rigole bien. Et puis on ne se sent pas en compétition avec les autres magasins dont elle a la responsabilité. Je trouve ça cool. Madame Delphine aime bien qu’on lui raconte un peu notre vie. Genre nos histoires de mecs. Elle s’intéresse. On n’est pas des numéros. Ça aussi c’est cool.