John, c’est celui que les autres utilisent systématiquement comme bouc émissaire, juste à cause de son prénom, ils l’appellent l’Angliche. Les enfants sont cruels entre eux. Je suis souvent obligée de me fâcher pour remettre un peu d’humanité dans leur comportement. J’en suis désolée pour votre fils, mais lui ne se défend pas, il s’isole, se referme. Alors ça énerve les autres qui cherchent juste la bagarre. Les meneurs, ce sont les jumeaux, ils sont les derniers en classe mais les premiers pour cogner. Pourtant dans une bagarre pas sûre que John aurait le dessous, il est fin mais solide votre fils, je vois ça dans les cours de sport, ce trimestre nous avons fait de l’endurance et c’est lui le meilleur de la classe, de loin. Quand les autres en viennent aux mains, il trouve son salut dans la course, ou il grimpe dans les arbres, je n’ai jamais vu un enfant grimper comme lui aux arbres ! Mais je vous ai surtout demandé de venir pour discuter des résultats scolaires de votre fils, monsieur Dubon. Ce n’est vraiment pas bon. Il dessine partout sur ses cahiers, sur ses devoirs, parfois même dans les livres. Et tout le reste ne l’intéresse absolument pas. La biologie et l’histoire, un peu. Et encore. Il ne fait pas de bruit, il ne dérange pas la classe mais il ne travaille quasiment pas, à peine assez pour avoir la moyenne. Je vais lui mettre un avis favorable pour la sixième mais il faudrait vraiment qu’il se mette sérieusement au travail, sinon l’an prochain il risque de couler dès la rentrée, et il serait obligé de redoubler. Je pense que ce qui serait le mieux pour lui serait de sortir le plus rapidement possible du système scolaire. Il s’intéresse aux oiseaux m’a-t-il dit. Il faut que vous lui expliquiez qu’il doit travailler à l’école, au moins un minimum, le BAC ce serait bien, au moins le brevet. Il sera plus serein l’an prochain pour travailler, les jumeaux vont à Sainte-Bernadette, en pension. Je compte sur vous pour lui dire tout ça, lui expliquer. Lui dire que l’école c’est important
John, c’est mon meilleur élève. Un peu tête de mule, quand même… Lorsque je propose des études de perspective ou un travail sur les ombres, tout se transforme toujours en oiseau ou en arbre, il rajoute des feuilles et des plumes sur tout ce que j’essaye de lui faire dessiner, cube cylindre ou portrait, presque trop d’imagination, mais son trait est déjà vraiment mature et assuré pour son âge. Et il ne doit pas vous coûter trop cher en matériel, puisqu’il ne dessine que sur ses cahiers d’école et avec un bic bleu… Une vraie tête de mule, mais je le reprends volontiers l’an prochain après l’été, très volontiers
John, c’est comme ça qu’elle l’a appelé. John, et Jack pour le deuxième prénom. Alors que moi c’est Jack et John, juste dans l’autre sens. Quelle salope quand même ! Elle ne m’a jamais appelé, ni écrit ni rien depuis que je suis parti, je n’ai jamais pensé que je pouvais avoir un fils en France. Sûrement parce qu’elle savait très bien que je voulais pas de môme, j’en ai jamais voulu, je vais pas changer maintenant, sûrement pas, et encore moins pour elle. Au moment où ça a dû arriver, c’est vrai que j’étais en France et qu’on travaillait pour la même boîte. Une brune, jolie et pas timide, vraiment pas timide. Ça fait dix ans déjà, bientôt onze, tu te rends compte, elle me dit ça seulement maintenant cette garce. Mais on se voyait que de temps en temps, ça n’a duré que trois mois à peine cette histoire, le temps de ma mission là-haut dans les montagnes. Je ne faisais que des projets très courts en ce temps-là. Elle m’avait dit qu’elle était mariée, mais aussi qu’elle ne pouvait pas avoir d’enfants et que ça ne risquait rien qu’elle avait fait plein de tests et qu’avec son mari ils ne s’entendaient plus à cause de ça. Et maintenant une lettre, qu’elle est malade et que c’est incurable et que c’est moi qui vais devoir m’occuper du gamin. On se croirait dans un mauvais film. Elle m’a bien eu cette salope, elle m’a bien eu. Je sais même pas si c’est vrai cette histoire, le môme est blond et moi aussi, mais ça veut rien dire, ça, ça veut rien dire du tout. Y’a pas que moi qui suis blond sur terre quand même. Et il parle même pas anglais, qu’est-ce que tu veux qu’il vienne faire ici, en Écosse, dans cette île où tout le monde se connait depuis quarante générations. Elle m’a piégé. C’est son mari qui s’en occupe du gamin en ce moment, parce qu’elle a divorcé en plus. Elle s’en occupe même plus depuis qu’il a trois ans, il vit plus avec elle, c’est son ancien mari qui a la garde de mon gamin, tu te rends compte, elle est complètement dingue cette nana, elle se sert de tout le monde, elle m’écrit pas pendant dix ans et je reçois ça ! Non mais y’a aucune chance pour que j’accepte son chantage, aucune. Je vais juste la brûler sa lettre tiens, je vais la bruler et dire que je l’ai jamais reçue. C’est ça que je vais faire et tout de suite même, passe-moi les allumettes
John, c’est lui qui m’emmène en promenade, il me garde les croutes de fromage, il me donne à boire dans le creux de sa main, je lape en essayant de ne pas gâcher, il n’a toujours qu’une seule gourde pour nos deux soifs. C’est lui qui porte l’eau dans son sac à dos, toujours le même sac, toujours avec lui, cartable les jours d’école et sac à dos tout le reste du temps. De l’eau, un bout de pain, du chocolat quand il ne fait ni trop chaud ni trop froid, et toujours du fromage. La tome de son tonton Thierry dans un bout de torchon. Pour Noël, il a demandé des jumelles, mais c’est pas donné les bonnes jumelles, alors son père a fait comme si il avait pas entendu. En attendant les jumelles, la plus grande place dans son sac, c’est papier et crayon. Le carnet, c’est plutôt un vieux cahier d’école avec les lignes bleu clair. Quand il sort le cahier, je sais qu’il faut que je me couche et que je me taise, que j’aille voir ailleurs, ne pas le déranger, attendre de mon côté sans déranger ni lui, ni les autres bêtes. Maintenant que je ne suis plus si jeune, attendre m’arrange plutôt, ça me repose des montées, ça laisse respirer mes pattes après trop de cailloux. Souvent il me dessine moi aussi, mais juste des détails, des silhouettes quand je courre, quand je cherche, quand je suis content. Des touffes de poils, les oreilles, la truffe, les pattes. Il aime bien dessiner mes pattes. Et quand il m’a bien dessiné, on reprend comme avant, courir, sauter, dévaler dans les feuilles mortes, se coucher par terre et regarder vers le loin avec ses longs doigts fins qui farfouillent dans mon poil
Il y a déjà plusieurs histoires en route avec ce portrait de groupe. Merci pour ce personnage
Début de personnage, en construction, il apparait petit à petit, se construit de proposition en proposition, surprise aussi pour moi !
Et un grand merci pour la lecture