Sur la route de S. route des vacances, dans la voiture trois derrière, deux devant, nous la connaissions par cœur à force de la prendre. Au bout il y a la mer, avant il y a le marais, avant la petite ville et avant, à droite de la route les vignes qui tombent vers le fleuve, à gauche un champ de marguerites où on s’arrête pour cueillir des fleurs qui feront un beau bouquet en arrivant dans la maison vide depuis l’an dernier.
Sur la route de S., nous nous sommes arrêtés à la petite ville pour visiter l’église. Ce soir, il y a un concert, elles répètent une musique bizarre, quatre femmes avec des instruments qui me paraissent tous violons. L’affiche dit quatuor de Ravel, musique devenue fétiche.
Sur la route de S., ça devait être début juillet, je sais ça parce que le 14 juillet, on était toujours là, monter la grande rue, regarder le feu d’artifice, écouter la fanfare, la suivre en descendant la grande rue, manger une glace chez Judici.
Sur la route de S., pas les mêmes dans la voiture. Une, venue de loin, a voulu passer par le bord du fleuve pour voir les vignes aux noms prestigieux. C’est beaucoup plus long, peu importe, elle veut voir et nous avons du temps. Sur le siège arrière, elle a dormi tout le temps de la traversée du vignoble.
Je voudrais sentir à nouveau ces sensations d’enfance, je les nomme confort, tristesse, avenir radieux, j’ai le souvenir de ces noms que j’invente mais comment c’était, dans quel état ça me mettait, aucune idée et comme je ne connais pas de base de données des sensations, je ne les retrouve pas et ne les retrouverai jamais. J’envie celles et ceux qui disent qu’ils se souviennent de cette sensation devant le Taj Mahal ou les ruines d’Angkor ou …, ils ont de la chance ou ils se moquent. Et l’autre qui passe ses après-midi à regarder le tour, ce qui s’en rapproche le plus, il me semble, c’est ça : regarder le tour, ce sentiment de chaud au cœur, d’être entre nous, dans un paysage inutile, pour rien. Pourtant, le tour, non, je n’en ai aucun souvenir ni de l’avoir regardé ni de m’y être intéressé une seconde. Tiens s’il y en a une que je voudrais me rappeler de sensation c’est celle devant une haie après la pluie. Je me souviens de quelque chose qui ressemblerait à ce qu’on dit nostalgie, un bien être de quelque chose qui va advenir.
Sur la route de S., en mobylette, un peugeot bleue, deux filles font des allers retours sur la route, elles passent et repassent dans une flaque d’eau avec leur vélo pour que les roues laissent des traces qui s’évaporent vite.
A S., nous arrivons en longeant le front de mer, c’est plus long, ça demande de continuer plus loin la route, contourner S., rouler à travers les pins, dire bonjour l’océan, nous allons passer deux mois avec toi.
Sur la route de S., la plupart du temps, après le marais, traverser la voie de chemin de fer puis à droite, la rue qui descend et qui va remonter sur la dune. A droite, un temple protestant, lieu mystérieux où nous viendrons parfois les jours de pluie sans plage.
Sur la route de S., au début des années 80, train, bateau, train, sans prévenir, la grande ville était trop forte pour moi, j’avais surestimé mes forces, trouvé ici quelques jours et quelque force pour repartir. Il n’y a plus eu de route de S.
Précieux souvenirs enfilés comme un collier de perles. Sur la route de S. pour convoquer notre fabrique mémorielle et les sensations de l’enfance. Avec délicatesse.
Merci Jean Luc. La fabrique mémorielle (j’aime bien ces deux mots) tourne à plein régime, elle a parfois des hésitations.
ce rythme imposé par cette petite phrase « sur la route de S. » (on aurait bien aimé savoir de quel lieu il retourne, mais…) est très efficace et nous tient
et pourtant le temps file même si tu souhaites dans ta bio « ne pas laisser filer le temps ! »
merci Bernard
Le lieu, je te le dis à toi Françoise, ne le répète pas, c’est Soulac. Et puis ne pas laisser filer le temps, ça fait joli dans la bio mais comment on fait sans le réinventer ? En le vivant ?
Tous ces souvenirs qui prennent forme sous votre plume. On en redemande.
Merci Élise !