Dans la nuit de samedi à dimanche ils ont laissé partir les derniers clients et refermé la porte fenêtre derrière eux. Puis ils ont recouvert le mobilier de draps blancs, décroché la pancarte « débit de boisson », avant de fixer les hauts volets de la devanture. Assis l’un près de l’autre derrière le comptoir ils ont laissé filer les jours s’habituant peu à peu aux bruissements du silence et au grincement des parquets.
Dans la nuit de samedi à dimanche ils sont allés voir jouer le Pont de la rivière Kwaï. La soirée était douce. Marcel se sentait fatigué, il aurait aimé rester à la maison autant que de sortir. Augustine lui avait laissé le choix entre cette soirée ou la soirée du lendemain. Il avait répondu sans choisir. Il n’avait envie de rien. Tout l’ennuyait. Le rythme de la vie était devenu bien trop impétueux pour lui. La main passée au creux du bras d’Augustine il s’était laissé guider jusqu’au cinéma à quelques rues de là, pensant déjà au lendemain, au réveil difficile.
Dans la nuit de samedi à dimanche Camille danse dans l’odeur des tilleuls et de l’asphalte tiède, les bras tendus vers les lampions pointillant la place, les yeux aveugles aux nuages s’amoncelant au-dessus des toits. Au centre d’un groupe, elle tourne sur elle-même et rit, chuchotant à l’oreille de son voisin son bonheur d’être là, dévoile sa nuque au vent frais qui se lève, ne goutant que l’instant. Traversé par l’éclair la nuit s’illumine, rivalisant avec les lampions et les guirlandes multicolores, laissant l’inquiétude et l’enthousiasme se mêler à la foule. Le tonnerre roule soudain du quartier voisin à la place devenue sombre, entrainant la pluie qui crépite, légère, sur les tables et les bancs. Des gouttes ruissèlent sur ses joues, sur ses mains, d’autres explosent à ses pieds. D’instinct elle replie les bras sur sa poitrine et lève le visage vers le ciel. Elle dit : il faudrait des bottes pour sauter dans les flaques ! Gorgées d’eau, ses paroles se noient sous le choc des gouttes. Ivre d’une joie insoupçonnée, elle sent à peine qu’on l’entraîne vers le porche le plus proche.
Cette nuit de samedi à dimanche le froid est vif. Caché dans un cabanon, son corps contre le bois humide, il reprend son souffle. Les minutes s’égrènent dans la hantise du moindre claquement de botte, cliquetis d’une arme. Au dehors, des chênes et leurs ombres, derrière lui le mur qu’il vient de franchir, hérissé de tessons de bouteilles. Il court. Il court aussi vite qu’il le peut.
Elle range sa valise au-dessus de son siège, s’assoit et regarde par la fenêtre. Elle porte un manteau de fourrure au-dessus d’une robe de laine bordeaux et des souliers noirs. Sur le quai, Marcel met sa main au-dessus de ses yeux pour atténuer l’opacité des vitres. Il esquisse un sourire lorsqu’il l’aperçoit et lui fait un signe de main. Elle lui répond du même signe avant d’abaisser la fenêtre. Elle hoche la tête : oui, elle a réussi à ranger sa valise ; Oui, elle est bien installée. Le train se met lentement en mouvement à destination de la gare d’Angoulême. Marcel avance à son rythme avant de perdre de la distance. Dans la courbe, Augustine voit sa silhouette disparaitre.
Camille a les yeux ouverts sur la nuit. Attentive, elle écoute les bruits sans présences, observe les formes dessinées par les feuilles sèches oubliées dans les allées. La lampe de chevet lance un halo de lumière pressant sur le plafond. Un instant elle croit entendre un crissement, il enfle bientôt du fond du jardin, une ombre furtive avançant vers elle, suivi de cris de chats, bataille ou un cri d’amour se perdant sur les toits voisins. Elle referme d’un geste brusque la fenêtre et s’enfouit sous les couvertures.
Dans la nuit de samedi à dimanche Madeleine feuillette l’hebdomadaire Rustica, le numéro vingt-quatre de l’année 1950. L’article de la quatrième page retient son attention, La cueillette des fruits d’été. Elle a pris son service il y a une heure, le bâtiment est calme. Elle entoure au crayon de papier les fruits de son verger : Abricots, Prunes, Poires d’été. S’amuse des Mésaventures de P’tit Louis racontées sur le bandeau de bas de page. Elle tourne rapidement les pages suivantes, retient qu’au début de l’été, on plante : Anthémis et géraniums, que le sucre est libre, faites des confitures avec JEL, vous en ferez deux fois plus puis se plonge dans la suite du feuilleton : Le Mât de Cocagne débuté lors des publications précédentes.
Le contexte, les personnages, tout est là. Une histoire se met en place et tout comme Madeleine, nous aussi nous attendons la suite dès publications.
.Merci pour ce commentaire, il me donne confiance pour la suite.