1— La nuit de samedi à dimanche, mais la quelle, elle ne se souvenait plus. Elle avait répondu vite, mais quand, quel week-end. Bien sûr elle se souvenait de « la nuit » c’était aussi un samedi, mais depuis elle fuyait tous les samedis. Elle ne savait pas si cela avait été une chance de commencer à boire quelques mois plus tôt, c’était le hasard. Premier verre d’alcool et quelques semaines plus tard, il y avait eu ce samedi, où ils ont ri, où elle a compris qui elle était. Tous les samedis, le hasard mettait de l’oubli sur son chemin, un gentil nuage pour oublier, pour ne pas être celle-là. Alors maintenant pour reconnaître un samedi de l’autre, bon courage. Au moins il n’insistait pas, il comprenait. Il gérait comme il pouvait la fièvre du samedi soir. C’était demain samedi, mais on pouvait peut-être dire que c’était aujourd’hui, elle avait l’impression qu’il n’y avait plus que des samedis après-midi, que des moments d’avant dans cette foutue semaine.
2— C’était un samedi soir, il regardait « the Voice », le téléphone a sonné vers dix heures, c’est elle qui a décroché. Il souriait, il a mis du temps à la regarder. C’est comme s’il voulait éviter l’abîme, ne pas la voir, c’était ne pas savoir. Mais il a dû la regarder, maintenant il ne souvient plus, elle aimerait être comme lui. Les samedis ne lui font rien à lui, enfin pas tout à fait, c’est le seul soir où il prend des somnifères pour s’endormir. Elle regarde, il ronfle. On est samedi soir.
3— Elle ne pouvait s’empêcher d’y croire, tous les samedis soirs, elle savait déjà qu’elle avait perdu. C’était un avenir à deux rêvé qui s’en allait, mais ce qui peut-être plus difficile, plus douloureux, c’était qu’elle savait maintenant qu’elle ne comptait pas pour lui, pour lui elle n’était pas grand-chose et elle se sentait affaiblie, diminué, cette attente d’un appel qui ne venait jamais, la laissait un peu plus dévalorisée à ses propres yeux. Elle lui en voulait et en même temps elle savait que si par hasard il appelait, dans la seconde elle aurait effacé tout cela.
Il y avait son fils, son amour, mais, elle avait besoin de plus, elle ne voulait pas se dessécher.
4— Il les regardait, pourtant il les aimait. Mais ils n’étaient plus dans le même monde. Ils voyaient l’espace entre eux augmenter de semaine en semaine. Ils avaient de la peine, lui aussi. Il voulait devenir un artiste, un écrivain. Il admirait beaucoup les textes du passé proche ou lointain, il aimait les livres, mais il méprisait les auteurs et leur posture, lui qui était réservé et poli, presque incolore, quand il se levait le matin, la première chose qu’il faisait c’était de se placer devant son miroir, d’imaginer en face de lui l’assemblée des écrivains réunis et de dire à haute voix :
— Je vous pisse dessus, puis il allait aux toilettes.
Le samedi soir, c’était le cadeau qu’il faisait à ses parents, il regardait ensemble la télévision, là, assis près d’eux, il essayait de leur donner l’illusion que le lien qui les unissait n’était pas complètement rompu. Il essayait d’y croire.
5— Le samedi soir, cette drôle de soirée, celle où tout semble possible, celle de tous les excès, de toutes les déceptions, de toutes les larmes, de tous les coups, des fuites, des oublis, des départs, des rencontres, des regrets. Combien étions-nous les samedis soirs de la jeunesse éternelle, vers dix-huit heures à rêver à une rencontre, à vouloir être un autre. Combien de défaites après cette soirée empoisonnée. Mais le pire était à suivre, le dimanche, la fin de journée, ce moment où le manège repart pour un tour, où l’on se souvient qu’on a qu’une seule vie et qu’elle tombe en poussière.
6— Les week-ends, comme une récompense, un moment partagé. Souvent il se levait tard, je le voyais dans son lit, lisant. J’avais son sourire en plus d’un « ça va l’artiste », alors le dimanche était sauvé.
7— L’hiver on allait quelquefois en voyage à cinq kilomètres. On arrivait dans l’appartement froid, entourés de vieux meubles, de vieux objets, d’une ancienne vie, de rires et de pleurs qu’on ne connaîtrait jamais, qui étaient là, incrustés dans les murs, on partait au passé.
Plus on va avec toi, plus on va dans le mode passé, plus on te ressent fort…
les deux derniers blocs m’ont parlé, touchée… « ah cette ancienne vie incrustée dans les murs »
merci Laurent
Merci Françoise
C’est une empreinte qui se fait de plus en plus forte au fil des lignes. Une lecture qui marque. Merci Laurent.
Merci
Tous les samedis, le hasard mettait de l’oubli sur son chemin, un gentil nuage pour oublier. S’oublier, ne pas se souvenir de soi, une piste pour le bonheur ? Bravo Laurent.
Merci Bernard