Le chien s’est barré ce soir. Son frère est passé en coup de vent dans la chambre et lui a dit d’arrêter. C’est comme ça quand le chien s’est barré, faut tout arrêter. Il a pas cédé comme ça mais l’autre a continué, faut venir le beau-père va le chercher. Il lui a dit qu’il sortirait plus tard mais l’autre ça pas fait dévier non plus. Fini Counter-strike. Il a bien essayé de trouver une autre excuse mais il savait plus quoi dire, ça lui arrive, il aime pas. Alors il a balancé un nanani nanana pour pas avoir l’air d’un con qu’a baissé la tête, qu’a fait son faible. Quand le frère a fait genre de débrancher la console, ça l’a bien énervé, il a balancé sa manette. C’est pas l’envie de lui en mettre une qui lui a manqué mais c’est son frère et puis il est sûr de pas avoir le dessus. Alors pas la peine de s’en prendre une pour rien. Il est sorti. Maintenant il est dehors, il fait pas encore complètement nuit vu que c’est l’été les jours ils sont plus longs. Il entend le moteur du quad, le rouge, déjà sorti qui toussote et manque parfois de s’étouffer. Quand c’est noyé, c’est fichu et faut attendre au moins un peu avant que ça redémarre. Mais, ça repart à chaque fois, comme son cœur au moment où un CT débarque alors qu’il pense la mission terminée. Il monte à l’arrière, et il sent le vide au bas de son ventre quand l’autre accélère d’un coup. Il n’arrive pas à savoir s’il aime ou pas. Un peu des deux, ça fait un vide en bas de son ventre, et l’inconnu, il sait pas comment le prendre, il a envie d’y sauter mais il sait pas si y a un fond au fond. Alors il gueule un bon coup pour remplir ses silences.
Il jouait encore avec se morceau de chiffon. Hier, sa mère le lui avait repris des mains. Trop sale à traîner partout comme ça, par terre, avec le chien qui se vautrait dans le coin. Il le mâchonnait avec sa gueule en deux couleurs, noir et blanc. Puis, attiré ailleurs, il l’avait relâché dans un coin, lui alors, il l’avait bien remarqué et l’avait repris, sa mère ne le regardait pas. Il l’avait ramené jusqu’à sa chambre. C’était encore un peu chaud et humide et ça sentait un peu le poil. Ça le rassure bien maintenant de l’avoir dans sa main, en boule collé dans le creux de sa gorge fine. C’est là qu’il se sent le plus fragile, il sent son cœur tout au bord qui bat, qui bat un peu trop vite. Et ses oreilles, il aimerait ne plus les avoir, en cornet, ouvertes sur le bruit et sur la pénombre. Il entend encore le son de la télé dans le salon, et parfois, ces parents parlent mais leurs paroles sont étouffées par son coussin. Il s’imagine alors deux êtres, deux créatures inconnues qui les auraient remplacés mais en gardant, pour le moment en tout cas, des semblances familières. Plus il y pense, plus l’étrangeté prend forme, il cherche, rassemble les preuves de son erreur mais chaque confirmation de la présence de ses parents, là-bas, renforce le doute, ici, au creux de son cou, là où la chair est si vulnérable. Dans la rue, en bas, un moteur rugit et s’enfuit dans la nuit laissant une traînée de musique autotunée.
Elle marche, tourne en rond dans cet appartement, marche, tourne en rond. Elle baisse la tête, ses cheveux forment autour de son visage une barrière protectrice. Alors, elle s’absorbe en elle-même comme elle sait le faire, comme elle l’a toujours fait, on le lui a dit, depuis son plus jeune âge. Elle pouvait, elle ne s’en souvient pas mais en retire une forme de fierté, passer de longs moments à caresser une étiquette, sans se détourner ni se lasser. Elle a gardé cette consistance et cette persévérance même dans le délassement. Elle a sa méthode et l’applique avec sérieux. Elle en a fait un rituel, coupure profonde, elle cherche la sécession du quotidien. On la gave partout de ces bonnes pensées comme un catéchisme, des paroles creuses que les adultes lui servent en mantra. A quinze ans elle en sait assez pour avoir compris tous ces faux-semblants et ces discours vains. Elle répète et approfondit en elle ces gestes, elle y cherche ce retrait, elle sent son rythme cardiaque descendre, elle reprends son portable en main, elle lance l’appli, elle marche, elle adopte ce rythme hypnotique qui fait brailler son père, elle prend son casque, en déplie les oreillettes comme des ailes, elle est la main sûre, elle le glisse sans accrocs sur ses oreilles.
Détaler, détaler. Ouais, il courre sans arrêt. Ça tricote sous lui, et c’est comme ça que ça se passe, toujours. Il se sent à l’étroit dans son studio, ça lui arrive parfois, avec dans la gorge une boule qui enfle. Une colère sourde qu’il n’a pas vu venir. Il est tourné juste la tête et voilà, elle est là, en lui, fichée dans gorge, comme un pendentif de chair pulsante. Et ça ne demande qu’à sortir, il veut exploser ses murs, c’est oppressant d’un coup comme quand il était gosse et qu’il se comprimait la poitrine. Après il relâchait et qu’elle sensation. Le sang revenant, il étendait les bras, prêt au décollage.
L’écran digital affiche leur ombres couchées sur le dos. Une station, une émission sur Léon Blum, ce soir et une série qu’ils écoutent. Ils sont déposés dans un demi-sommeil, plein de rémanences. Elle, ce sont aussi, toujours un peu plus tard dans la nuit, à une heure de rediffusion des émissions de la veille, des angoisses qui montent et gonflent, une peur diffuse. Elle lui échappe, il n’y a pas moyen, elle ne se circonscrit pas car et si… Lui, une humeur grasse lui fait la respiration sifflante, il grasseye et tousse, il lui échappe un gémissement, personne ne s’en soucie. Ses membres, vers le bas, c’est une compote mêlée de chair et d’élancement douloureux, ça scie et ça cogne, bordel, et ça ne s’arrête pas. Il cherche un appui, à accrocher ça ailleurs, dans un bon souvenir, un de ses livres talisman qui l’ont qui longtemps et sûrement protégé des vicissitudes du dehors.
Ses semaines s’écoulaient toujours, c’était ainsi. Elle en était arrivé à cet instant, où toutes ses pensées et ses actions semblaient converger et s’annihiler. C’était l’attente d’un sommeil mais il ne venait pas ou jamais quand on le supposait. Il la fuyait, s’éloignant d’elle quand elle esquissait un pas vers lui et parfois alors qu’elle s’était découragée, il la prenait par derrière. Par surprise. Elle se rappelait les évènements mineurs de la journée, les courses dans son supermarché, elle se revoyait en déambulation dans des allées dont les rayonnages étaient vides. Et puis, un air, un de ceux dispensés en flot continu, lui revenait en tête. C’était noyé dans un éclairage blanc de néon, des visages, oubliés la seconde d’avant, se matérialisaient sous ses yeux. C’était le cas ce soir, elle s’était, lasse d’attendre, relevée puis mise devant la baie vitrée et silencieuse à cette heure. Elle prenait une chaise, la blanche en formica. Elle la plaçait au milieu de la pièce, avec précaution, comme si elle craignait d’éveiller quelqu’un. Elle veillait à ne produire aucun bruit et se déplaçait avec précaution, si on lui en avait demandé la raison, elle n’aurait pas su l’expliquer. Cela tenait d’une évidence, cela la dépassait. Sans ses lunettes, la surface glacée étendait un mur brouillé entre elle et la nuit. Sur cet écran, elle laissait lézarder les lumières en mouvement, rares à cette heure et ses fantasmagories en surimpression. Dehors ça gueulait au loin, des chansons, des invectives, des suppliques à la nuit ou à un dieu inconnu.
Toute la musique, l’alcool et les vapeurs de beuh, lui battent dans les tempes. Des pensées le traversent, aucune ne se fixe, à part cette sensation que le sol se dérobe, sous ses pieds, le sol est mou et collant. Des mains, il y a des mains, qui s’acharnent à lui choper le pied, et le suivant et ça recommence. Sa marche est entravée. Il ouvre son blouson, il bée grand la bouche. Il ressemble à un poisson qu’on aurait laisser là crever au grand air, les ouïes palpitantes. Il veut du frais, des vagues de chaud et des remugles de biles et de bière le submerge un instant. Il a l’impression d’avoir ingéré un volcan, ça enfle et reflue. Une voiture, sortie de nulle part, passe en klaxonnant doigt bloqué. Il n’a plus de passé et pas de futur. Le temps est en équilibre sur ses jambes vacillantes, il tremble un moment d’indifférence et de fatalisme et repart vers la source qui palpite, en binaire par capillarité. La pesanteur, sa pesanteur, elle, n’a jamais existé, il coule.
Un commentaire à propos de “#été2023 #04bis | 7 nuits, ça te dit ?”
Le côté un peu provoc de votre titre. J’ai remonté le temps pour mieux essayer d’entrer dans votre univers. Impression d’un besoin pressant de quitter l’attelage familial et fraternel pour vivre autre chose. Ecrire est un pas de côté, une brèche dans l’ambiance un peu nintendo,fumettte & co et cette satanée routine de la baraque où la vie n’est pas très sereine. Mais est-ce simplement un personnage dans son jus que vous proposez. J’attends la suite pour me faire une idée. J’espère rester « scrède » un mot que vous m’avez appris. C’est une grand-mère qui vous lit.
Le côté un peu provoc de votre titre. J’ai remonté le temps pour mieux essayer d’entrer dans votre univers. Impression d’un besoin pressant de quitter l’attelage familial et fraternel pour vivre autre chose. Ecrire est un pas de côté, une brèche dans l’ambiance un peu nintendo,fumettte & co et cette satanée routine de la baraque où la vie n’est pas très sereine. Mais est-ce simplement un personnage dans son jus que vous proposez. J’attends la suite pour me faire une idée. J’espère rester « scrède » un mot que vous m’avez appris. C’est une grand-mère qui vous lit.