Je voudrais qu’on la voie, je voudrais vraiment qu’on la voie dans un train, et qu’on voie d’elle l’image qu’elle ne voit pas d’elle-même, cette image que l’auteur, Sonia, n’a pas plus les moyens que moi de décrire.
Je voudrais qu’on la voie, Blanche, dans son compartiment de train, elle dont à vrai dire l’auteure ne possède plus grand chose de plus que le nom. Qui pourtant aimerait l’écrire ce personnage de Blanche, mais qui ne peut le faire qu’en creux. Qui a cette faiblesse de vouloir écrire le creux et qui en fait trop.
On arriverait seulement à dire d’elle, de Blanche, qu’elle est une enfant, on ajouterait avec empressement qu’elle est une petite fille.
Je voudrais qu’on en voie l’image aussi bien que l’image qui manque. L’image qui lui manque à elle.
Blanche à ce moment là n’est pas seule. Elle n’est pas encore seule.
Sonia qui écrit, écrit depuis cette absence de Blanche à l’image, depuis l’intérieur de Blanche, où il y a probablement une voix, de conscience, et un grand nombre de particules, une densité sombre, mouvante. Il est possible que Blanche n’ait alors pas de regard sur elle-même. Aucun.
Dans le compartiment où ils sont cette fois à cinq, où ils sont tous les cinq, il y a son père sa mère ses 2 frères. Elle a une place près de la fenêtre, son autorité d’aînée. Les enfants volèteront d’une place à l’autre, s’échangeront.
Autorité d’aînée, exception féminine. Elle, les deux garçons.
C’est dingue ce que ne rien dire peut prendre de mots et rapidement trop.
Je ne ferai pas semblant que c’est facile, cela je ne le ferai pas, en effet.
Je disais donc qu’il était possible que Blanche n’ait alors aucun regard sur elle-même. Il y aura probablement le regard du père, et le regard de la mère, et qu’elle se tienne là, dans leur regard, de l’un ou de l’autre ou de l’un et l’autre confondus, que ce soit là sa consistance principale. Vous ne l’auriez pas vu, si vous aviez été là. Vous, vous auriez vu le jeune corps long, les cheveux bouclés, on lui dit blond vénitien souvent, les yeux bleus. C’est à Sonia qui écrit de le montrer. Il est possible qu’il y ait son regard à elle, Blanche, son regard sur ses frères, ses frères aussi sous le regard de leurs parents. Il est aussi possible qu’on se situe dans une sorte d’avant, qui serait celui de l’enfance. L’avant de l’enfance de Blanche. Quand Blanche est dans le regard. Le regard qui va se défaire, qui va s’éloigner. S’effilocher. Ce qui se passe pendant les vacances.
Il est certain qu’il y eut un moment où Blanche l’a vécu ce moment, s’y trouva, y était. Qu’elle tînt un conversation, qu’elle bavarda, qu’elle rit, qu’elle fit rire, qu’elle bouda, qu’elle se tourna tantôt vers son père, tantôt vers sa mère. Qu’elle le fit tout ça, qu’elle inventa des jeux avec ses frères, pour ses frères, qu’elle commandait. Qu’elle ferma les yeux.
Nous ne vivons pas tous dans le même rapport au temps. Celui de Blanche est difficile à ponctuer. A préciser, à nommer. Le temps de Blanche a tendance à se superposer. Une tranche se pose sur une autre, une feuille de temps sur l’autre, les feuilles sont fines et ne sont pas numérotées. Les étés se superposent, bientôt ne font qu’un seul été, de plus en plus rapide.
Les parents ce jour-là conduisent les enfants au château de Noirtier où ils resteront tout l’été. Cela est sans souvenir, cela a eu lieu. Aussi sûrement que Sonia écrit ceci aujourd’hui, cette quantité excessive pour étoffer le manque, qui n’a d’ailleurs pas plus que ça besoin d’être étoffé, mais pourquoi alors tant dire, broder. S’il arrivait par inadvertance que quelque chose se dise, se dise de cette entité, familiale, de cet amour, de ce qui est sur le point de se défaire, et qui touche à ce que Sonia à pu dire de l’être-dans-le-regard de Blanche, où elle était jusque là sans interrogation.
L’extraordinaire, c’est que ce moment où Sonia écrit, destiné à l’oubli, est, a été, aussi sûrement que l’est, que ne l’a été ce voyage à cinq vers Noirtier.
Blanche retournera à Noirtier, au château de Noirtier. Ceci se répétera, avec d’infimes glissements qui lentement, précautionneusement se superposent. Une année venant creuser l’écart de l’autre. Ceci se répète dans le même et dans la différence. Les parents qui les conduisaient, accompagnaient, la mère qui y alla seule, les conduire là-bas, les laisser. Et enfin Blanche seule avec les garçons pour ce long voyage vers les Ardennes belges, qui durait 4 heures, qu’il lui arriva d’ailleurs de faire seule. Avec toutes ces angoisses concernant les changements, les changements de train.
Une chose ici est inventée : qu’il y ait eu Blanche dans le regard, avant, et puis qu’il y ait eu Blanche après. Un après qui vient lentement dans un corps qui se transforme lentement. Grandir.
Blanche est une petite fille normale, jolie, et qui ne remarque pas qu’elle est solitaire, que dès qu’elle sort de la cellule familiale elle est seule. Blanche ne le remarque longtemps pas, tant qu’elle est dans une absence de regard sur elle-même, une inconscience.
Heureusement à Noirtier, il y a Albane, tante Albane. Qui n’est d’ailleurs pas vraiment une tante.
Blanche (« Blanche » qui n’est pas un prénom pris au hasard) « Quand Blanche est dans le regard. Le regard qui va se défaire, qui va s’éloigner », on le saisit ce regard.
Merci Catherine, Blanche au hasard, et le hasard qui fait bien les choses, souvent…