Camille applique une couche de peinture bleu canard sur le mur donnant sur le jardin. Le velouté du coloris illumine les chaises en fer gris. Elle ôte une tache à l’aide d’un chiffon. Sur sa main, le bleu recouvre ses phalanges, maquille ses ongles. Elle veut superposer la réalité aux secrets enfouis. Une mue qu’elle veut la plus douce possible. Elle fait courir le pinceau sur le mur avec habileté. Elle ne sait pas si elle arrivera à redonner vie à l’espace figé dans un temps passé. Elle aimerait aussi deux soleils. L’un oranger derrière le bar, l’autre jaune d’or près des banquettes. Un monde irréel aux touches irisées, une palette diaprée.
Marcel essuie les verres avant de les déposer, tête en bas, sur les étagères. Tout près se murmurent les potins du quartier, le temps qu’il fera et la pêche à venir. C’est l’heure du café du petit matin. À la terrasse, Augustine nettoie les tables couvertes de rosée. Elle aime ce moment clair-obscur. Et la fraîcheur ouatée du silence. Elle tend l’oreille aux premiers clients, au grésillement des néons tout juste allumés.
Bientôt, Camille aura terminé de passer la première couche. Dans les sillons du parquet se perdent des gouttes échappées du pinceau. Des coulures qui laissent des trainées sur ses avants bras épargnant les meubles recouverts de draps gris de poussière. Elle n’a jamais su peindre sans se couvrir de couleurs jusque dans ses cheveux. Elle se confondra bientôt au mur, habitera ce bar tout entière comme pour faire partie de son histoire.
Les bouteilles de Suze et de Lillé se vident. Des clients aux prénoms fabuleux entrent dans un courant d’air. Certains font escale sans jamais repartir. D’autres ont leur imperméable pendu à la patère de l’entrée pour les jours de pluie. D’autres ne restent que quelques heures laissant leurs rires s’échapper après la fermeture.
Dans un angle de la pièce de minuscules éclats de verre oubliés scintillent. La lueur du soleil s’y attarde un instant, juste le temps que Camille puisse les apercevoir. Trois fragments regroupés l’un près de l’autre. Elle s’approche. Un autre, prisonnier d’un amalgame de poussière est suspendu dans l’air, tel un funambule. Elle n’ose respirer trop fort. Depuis combien de temps sont-ils là à m’attendre ? Bris de verre ? Bris de voix ? Ils ont perdu leur transparence, polis par des années d’oubli.
Tout en contrastes on a envie d’y entrer dans ce bar, de pendre son ciré à la patère de l’entrée pour se mettre à l’abri, se rappeler la transparence avant l’oubli.
Merci beaucoup Fabienne pour cette poésie sous jacente du mouvement des jours.
Merci d’être passée par ici.
J’ai moi aussi envie de rentrer plus avant dans ce bar mais je tourne, tourne autour depuis un long moment. En espérant que ce cycle m’y plonge.