Passer le contrôle de police sous la grande porte ouest de Laâyoune fait toujours battre le coeur de ceux qui passent – dans un sens dans l’autre. Dans la Clio, Habiba crispe les mains sur son petit sac Vuitton énorme chaîne dorée. Des fois, on les arrête et Ahmed doit montrer les papiers. Il faut toujours penser aux papiers même pour aller à Foum El Oued, même pour aller à la mer. Ils croisent un gros Volvo, nuage de fumée dans la pétarade. La grosse citerne dégueule d’eau, il arrive de l’usine de dessalement. Habiba ouvre de grands yeux, fascinée par le bruit la masse cylindrique de la citerne, les traces luisantes de l’eau. L’eau. Le camion peine la route s’ensable. La sortie de la ville est une sortie du rien, pas une sortie, un retour au rien. Le sable. Ils croisent des camions qui reviennent du sud, qui ralentissent en arrivant sous la grande porte en forme de tente sahraouie tout juste inaugurée, l’une des grandes portes de l’Afrique c’est ce qu’ils disent. Habiba en est fière. La ville mord le désert de toutes ses dents de béton, plante des champs de compteurs électriques d’immenses entrepôts aux toits qui résonnent de bruire au vent. Le vent. Elle rajuste sa melhfa. Elle aime le vert. Les parents sont silencieux. Habiba n’aime pas ce silence. Elle en a horreur, une angoisse l’empoigne de tous ces signes à décrypter sur les visages, mais elle n’y arrive pas, à décoder, se tait dans les grognements du moteur du petit camion benne qui dandine du cul sur la route de plus en plus ensablée. Peut-être qu’il va falloir descendre, et pousser marcher. Dix-sept kilomètres jusqu’à Foum El Oued. Pas le temps de s’arrêter pour des photos dans les dunes à droite. Habiba en a toute une collection sur son portable. Même scénario mêmes couleurs, on dirait des photos retouchées mais elles ne le sont pas. Ce monde-là ne se retouche pas. C’est sa mémoire que le décor repeint à chaque passage d’un bon coup de brosse dure et la lumière s’étale crue sur les pierres et le sable martelant la simple évidence du vide du monde. Ils ne croisent plus grand monde à l’approche du croisement vers Foum El Oued qu’elle reconnaît aux arches circulaires des anciens postes de gardes à la silhouette maigre de l’aveugle debout seul devant les ruines, que l’on dépose le matin, que l’on vient chercher le soir. Il est attentif aux rares véhicules ses yeux morts se cerclent d’espoir il a faim. Parfois les parents s’arrêtent pour lui donner une demi harcha. Il y a toujours du monde au carrefour vers Foum El Oued, et souvent des contrôles radar. La route vient d’être refaite. Le ruban noir se déroule entre les terrains de sables, les bâtisses fragiles qui ont l’air de vouloir tomber sous le poids de la lumière et du vent. Devant le ciel se fait encore plus bleu.
Isabelle, super ton texte, bien combiné, tout à fait fluide, et l’histoire racontée bien actuelle, en te lisant, j’ai mieux compris comment s’y prendre, je te remercie.
Merci Simone, j’en suis touchée !