Les vacances. Depuis Bastia on prend la route de la Lagune, on passe le hameau de Pineto, on se gare sous les arbres. Dans l’air l’odeur des pins et des eucalyptus, de sable tiède. On déplie la table et les chaises de camping à l’ombre de la pinède. Une radio diffuse une chanson de Claude François, Petra se déhanche, chante, marque la mesure bras levés poings serrés en se mordillant la lèvre inférieure. Pauline la regarde amusée en fumant des Gauloises. Lina, en se remémorant ce moment, se rend compte qu’elle a le même tic — se mordiller la lèvre, ça lui donne une contenance. Lina se réfugie sur les genoux de Pauline qui lui attrape les poignets pour faire danser ses bras au rythme de la musique. À la fin Lina rigole, réfugie son rire entre ses mains. Pauline et Petra s’assoient sur un tronc de pin échoué sur le sable, elles sourient au photographe. Soleil. On se retrouve à la Marana. On reste sous les arbres aux heures chaudes. Les hommes sont torse nu — gitanes au bec ils allument un feu, mettent la bête à cuire. On fait tourner la broche, les lèvres retroussées en sourires voraces. Lina préfère ne pas regarder, elle ne comprend pas comment on a pu perforer l’animal. Le temps ne passe pas, l’odeur de viande grillée écœure Lina, elle réfléchit à comment échapper à la vigilance de Pauline au moment du repas. On s’installe toujours autour de la même table de camping en formica bleu, à la fin du repas on sort toujours les mêmes verres teintés orange dans lesquels on sert le café brûlant. On joue à la pétanque. On serpente le long des sentiers à travers les dunes, au bout on voit la plage, la mer et le ciel confondus en un bleu étincelant — on dirait une carte postale. Depuis la plage on peut voir la baie de Bastia vers le nord et les montagnes autour. On se baigne. Lina se couche sur le dos de sa cousine, attrape ses long cheveux bruns qu’elle tient comme des rênes. L’été suivant Pauline est morte. Petra allume une cigarette et soupire, les cigarettes sont plus fines, plus blondes, avec des filtres. Dans le regard fixe de Petra, quelque chose de mystérieux. Aujourd’hui Lina ne peut s’empêcher d’imaginer que Petra est revenue ici en cherchant une présence, les moments passés d’un âge doré, charnel. Lina part en quête de trésors qu’elle rassemble, des aiguilles de pins, des pelotes de mer, des petites pierres, des morceaux de bois flottés, elle refabrique le monde. Tout n’est pas complètement perdu, la plage respire, au rythme de phases érosives et de phases en accumulations. Lina se couche au pied des arbres et regarde la beauté du monde à l’envers, elle sait qu’il arrivera un moment où il faudra reculer. Des zones désormais clôturées. Des accès interdits. La plage du Lido parait plus étroite. L’insouciance est perdue. Il fait une chaleur à mourir. Sous l’effet des tempêtes, des arbres ont été emportés. Dans l’eau, Lina pense à Petra, elle sait maintenant les trahisons du corps. Elle a l’âge auquel elle peut raccrocher des souvenirs précis de Petra, sa manière de nager en petites brasses maladroites, sa silhouette qui devient floue dans l’air brûlant lors des grandes marches qu’elle fait le long de la plage. Elle pense à Pauline, son corps alourdi, ses lunettes aux verres fumés, les mots qu’elle déforme. Elle pense à Anne-Marie qui n’est jamais venue à la Marana, qui est passée de la montagne à la ville, des châtaigniers à Terra Vecchia, plonger son corps dans la mer ne l’a jamais effleurée.
Une écriture libre comme j’aime
Le temps s’accumule sans en avoir l’air, en regardant ailleurs. Il est beau ce texte d’été qui marche doucement vers la perte de l’insouciance.
La corse, ces images, ton écriture se poursuit allègrement Caroline.