#été2023 #04 | Des jouets éparpillés d’absence

Nous jouons nous jouons à calmer nos nerfs allongés le regard au ciel jouons par terre le sol est vide d’absence absence d’espace les jouets ont tout recouvert vendus plus tard abandonnés absents maintenant pour toujours aux enchères, on s’amuse rien à faire. On a grandi. On étudie le droit à l’université Paris-Est Créteil. On a changé les meubles. Les papiers peints ont été arrachés. Déjà, je m’en souviens, très tôt, ils ont commencé à se décoller. Je me souviens des meubles branlants mal montés. Je n’aimais pas l’école. J’étais encore petiot.

On jouait on jouait il fallait ranger maman n’était pas contente. On jouait les Lego partout des pièces par dizaines par centaines qu’il fallait ensuite ramasser ça prenait une éternité. Il y avait les petites figurines. Qu’on chopait. Dans les boites de céréales ou ailleurs je ne sais plus qu’on collectionnait avec lesquelles on se racontait des histoires qui n’avaient aucun sens. Des jeux qui ont fini par nous lasser. Je me pose parfois sur le lit. Je regarde le plafond. Il m’arrive de lire. Parfois. Quand j’ai suffisamment de force. De volonté. En ce moment, c’est une bande dessinée. J’ai mis l’autre livre de côté. Celui sur la folle qui danse. Je m’y remettrai plus tard. Lire, je n’aimais pas ça. Je ne trouvais pas ça amusant. Il faut prendre son temps. Se poser. Se concentrer. Ficher les arrêts de la Cour de Cassation ou — pire encore — du Conseil d’Etat, y piger quelque chose. Je regrettais mes livres pleins d’images. Je n’avais que ça, sur des tonnes de sujets : les tortues, l’Egypte antique, les planètes du système solaire, les animaux de la Préhistoire, les monuments du monde… Ma curiosité faisait rire les gens autour de moi. On a fini par les donner. Je passais d’une page à une autre, selon mon envie. Nos livres n’ont plus que des mots. Qui se bousculent nous fatiguent s’entassent le travail. Prend de plus en plus de place le regard. Des autres prend de plus en plus de place pour avancer. C’est plus difficile on pourrait. Marcher sur un Lego nos repères. Ont foutu le camp ce qui nous poussait de l’avant. Tout ça est mort. J’ai acheté un manuel de droit commercial. Je n’ai jamais osé l’ouvrir. Je n’ai jamais osé le revendre.

***

On a grandi. Un jour on ira ailleurs. Puis on s’enfermera chez soi sans plus savoir comment sortir. Cette chambre, à laquelle on s’accrochait, refusant de la quitter, qui nous rassurait, où on était bien, est maintenant notre prison.

2 commentaires à propos de “#été2023 #04 | Des jouets éparpillés d’absence”

  1. « Nos livres n’ont plus que des mots »
    Merci Jad pour ces conjugaisons révélatrices d’une douce nostalgie du temps où se laisse l’enfance avec les BD et aussi les Legos….