De la maison rouge à la plage, il faut compter un kilomètre peut-être. C’est toujours trop long pour ses pas d’enfant, impatiente de rejoindre le sable, l’écume, les vagues et les surprises de la marée. La grand-mère et la grand-tante sous leurs chapeaux fleuris tiennent l’arrière-grand-mère chacune par un bras et c’est elle, leur mère, qui donne le rythme à la petite troupe. Un rythme tranquille qui impatiente les enfants. Les trottoirs ne sont pas bien larges alors on se serre. Les filles devant armées de pelles et de seaux. La plus jeune sur les pas de l’ainée, sommée de ne pas perdre de vue sa petite sœur. Parfois on sursaute quand surgit un chien qui aboie de toutes ses dents à la grille noire d’un jardin séché de soleil et d’embruns. Elles ne sont plus que quatre sur le petit trottoir. L’arrière-grand-mère reste désormais à l’ombre des volets de la maison rouge, profitant du calme retrouvé après l’agitation matinale. Elle aime la solitude de ces après-midis de plage. Ses filles ont d’abord eu des scrupules mais elles ont compris qu’elle en avait besoin. Le trajet se fait plus vite, les pas sont plus vifs. Le chien de la maison à la grille noire a disparu. On ne sursaute plus. La grand-mère tient à trouver une place près du poste de surveillance. Elle ne sait pas nager, ni sa sœur et encore moins sa mère. Elle veut donc parer au pire, même si elle tient à rester campée dans l’écume bouillonnante tandis que les pieds s’enfoncent et que la mer avale et recrache miraculeusement les deux fillettes. Elle se sent tellement vulnérable face au bouillon rageur. Sous le parasol et le chapeau fleuri, la vieille dame s’est endormie, assommée de pas et de soleil. La grand-tante mordille son crayon de papier à bout gommé, le regard très concentré. Le chant d’une tourterelle traverse la demi-obscurité fraiche de la chambre. Assise dans le sable, les yeux rivés sur le grand bouillon, elle n’oublie pas de regarder ses petites-filles pendant que sa sœur sous le parasol lui lit à voix haute les grilles de mots croisés. Il est là encore aujourd’hui : échanges de regards, la jeune fille s’élance dans les vagues qui saisissent le ventre à l’orée du désir. La plus jeune bâtit un énième château de sable en jetant un œil de travers à sa sœur.