Elle marche pieds nus sur le carrelage froid. Elle entend les voix familières, elles viennent du salon où la famille échange sur les années passées à Dakar, à Casa, sur le présent, les terres familiales depuis de nombreuses décennies, sur la récolte de fruits précoce cette année. Mets tes chaussons, tu vas attraper du mal. Dans l’entrée, le piano. On n’avait pas su où le mettre lors de l’emménagement. Les autres meubles avaient trouvé leur place, pas le piano droit, il gisait, collé au mur, dans le passage. Depuis plus de 50 ans, c’est du dehors qu’elle observe cette maison. Les notes du piano résonnent encore en elle lorsqu’elle appuyait sur les touches en ivoire au hasard. L’une d’elles avait été ébréchée par une statuette en bois représentant un éléphant, elle avait tapé dessus sans se rendre compte du dommage encouru. Elle est revenue sur ce lieu à plusieurs reprises. Au début les années se sont écoulées, ont apaisé la colère, ont tamisé les regrets et l’absence sans jamais effacer le souvenir et, dès qu’elle a obtenu son permis de conduire, elle a fait route vers la maison, a tâtonné, a demandé de l’aide, a fait appel à sa mémoire pour la retrouver. Debout sur un fauteuil, les jumelles collées aux yeux, elle suit de la fenêtre du bureau son grand-père parti chasser avec son setter anglais sur les terres d’en face, de l’autre côté de la route. Ne tombe pas. À son retour, on va l’accueillir, ouvrir la gibecière et trouver un lièvre, un faisan. Ce sera le moment des larmes, des caresses sur le pelage ou les plumes de la victime et on passera vite fait sur les explications de la vie et la mort des animaux sauvages. Les retrouver sur la table à manger lui coupera l’appétit pour longtemps. Elle gare la voiture devant le portail. Elle le reconnait, c’est le même depuis son enfance. Les volets sont clos, sentiment d’abandon, personne autour, personne à l’intérieur. Même la boîte aux lettres reste muette.
Merci Dominique pour ce détour en terres d’enfance ! On aimerait faire une
On aimerait faire une gamme ou deux en passant dans le couloir, pour égayer la nostalgie ou changer le chasseur en conteur
une belle impulsion déjà pour cette autobiographie potentielle.
Dominique, c’est prenant, par dessus son épaule j’attends la suite…
« Elle est revenue sur ce lieu à plusieurs reprises. Au début les années se sont écoulées, ont apaisé la colère, ont tamisé les regrets et l’absence sans jamais effacer le souvenir et, dès qu’elle a obtenu son permis de conduire, elle a fait route vers la maison, a tâtonné, a demandé de l’aide, a fait appel à sa mémoire pour la retrouver. […]Elle gare la voiture devant le portail. Elle le reconnait, c’est le même depuis son enfance. Les volets sont clos, sentiment d’abandon, personne autour, personne à l’intérieur. Même la boîte aux lettres reste muette. »
Le besoin de retrouver une maison perdue, je le partage volontiers avec vous, c’est la source même d’un roman sur soi et quelques autres, où les objets et les visions du présent tentent vainement de se mêler aux souvenirs brûlants, ceux qui se réduisent en cendres au fur et à mesure qu’on les convoque. Votre texte sobre exprime bien cela avec calme et sincérité. Merci !