La lanière glisse sur le torse, le fermoir claque doucement dans la nuit bleu pétrole, le jour attend. Deux billes, la pupille fixe, regard vers l’intérieur, enclos de rêves récursifs et morbides, la boucle sur la boucle, la nuit, cette nuit a-t-elle une destination, un ailleurs ? En sont-ils un jour sortis ? Les corps se confondent dans l’habitable, chair et tôle, tôle et chair, l’autre en partage, et la légèreté de l’aube ouverte, les possibles communient, fondent la matière à la matière, alchimie en deçà du verbe, dans l’effervescence de la rosée estivale. En point de fuite, la roue épouse la ligne, et la rugosité du bitume. Les mots ont une petite gueule de rien, sans apprêt, crus, transparence, résonance avec le firmament, la vérité à la surface de la peau. La route produit son hypnose et les met à son unisson, ils baignent dans la myopie, le paysage se dissout et s’imprègne en eux, diffraction de leur atomes. Les jours se superposent aux jours, en décalque d’eux-même, faussés de façon imperceptible à l’œil humain, gauchis. Quelque chose change, quelque chose coule dans la permanence et le marbre de l’être. Les mains, les frôlements de l’étoffe usent, travestissent. La caresse devient égarement, la soie râpe. On ne voit plus, le souvenir en poncif mange le décor. Les cahots, la vibration, les arrêts où des frissons plein les membres, ils retrouvent la sensation dure du sol, avec à l’intérieur, dans le cœur comme une douce fièvre qui couve et les protège du fracas du monde. Dans ces endroits, la foule est dense et frôlante, les destins emportent avec eux des fragments aigres de sueurs, de sanitaires, de détergent et de gazoline. C’est entêtant, c’est une mécanique, des enchaînements mélodiques de plaquettes de freins en action, de voix, de pleurs, le sourd ronron de l’autoroute emplit l’atmosphère, les caisses enregistreuses pépient. Quand le flot le leur permet, ils se donnent la main, quand il les en empêche leurs regards se suivent et se protègent. Ils ne s’en rendent pas compte. Ils ont le naturel de leur inconscience. Les chemins se croisent, les routes ne mènent nulle part, les routes se dissolvent, ce chemin, ils le parcourent depuis si longtemps, ils en oublient le grain, chaque chemin a son grain, ils l’ont perdu,ils ne savent plus que toute chose y a sa place. Et elle qui s’agite, passe de siège en siège, incapable de repos, incapable de reprendre sa route intime, incapable de cheminer à nouveau. La tension a étendu sa buée grise et poisseuse sur lui, jour et nuit ont fait alliance, la veille n’a plus début ni fin. Les panneaux de signalisation, les papiers jetés, les éblouissement de ces soleils rasants, les lumières avalées par toutes ces carrosseries leur sont rendues au centuple comme des promesses qu’on leur avait réservées de droit. Ils ne se sentent pas, refusent la profondeur et restent dans l’effleurement. Ils sont portés par un souffle attiédi vers des familiarités nouvelles. La vie endormie pulse faiblement ses fragiles signaux, ils en sont les sémaphores.
et je ne sais plus si, à naviguer avec eux, c’est sur la route ou dans la confusion des jours. Les frontières entre se perdent et voilà qu’elles se redessinent (à la faveur d’une aire, d’un pied à terre). Épidermique, superbe, émouvant
C’est beau, je lis comme je regarderais passer l’eau d’un fleuve. De cet élan de mots qui coulent et qu’on lit en se laissant emporter. J’aime.