Quand on a quarante-sept ans on est trop sérieux, la féerie de l’enfance, nous échappe, on tâtonne à s’en rompre la mémoire ; lui me retrouve en un tremblement de terre, il m’entraîne dans ce tourbillon métropolitain au milieu de la foule des wagons surpeuplés, collés l’un à l’autre nous ne cherchons plus les mots, nos corps seuls s’emmêlent, s’en mêlent, le monde nous étreint, juste un souffle pas un mot. La Nation nous accueille en un glissement irréversible vers la sortie de la rame. Main dans la main comme un scotch double face, nous sommes poussés dans des couloirs aux allures de boyaux animés de marchands ambulants. Bois de Vincennes, les mêmes lettres bleues sur fond blanc, pour sortir, le ticket bleu de la porte automatique et le vent dans les cils réveille des sensations connues. Nos pas dans nos traces enracinent notre destin. Les allées portent le nom de nos souvenirs, nous cherchons la prairie de nos sept ans, elle est là sous nos pieds, dans nos mains dans nos yeux dans notre nez, dans le ventre, dans la caresse du temps. Des temps passés loin l’un de l’autre en pleins et en dé-liés.
Quand on a sept ans on est très sérieux, quand on a sept ans on ne connaît pas le mot amour, seul le corps en ressent les symptômes, que nos parents négligeront ; l’impatience des jeudis après-midis le ticket de métro en carton jaune fourré dans les poches emplies de sentiments Les yeux ébouriffés, les cheveux en bataille on se retrouve entre deux crissements à Nation, traversant les grilles longeant les couloirs aux odeurs de vent métallique. On ne se prend pas la main, la pudeur savoure ce qui ne se montre pas, lui et moi, le monde en cet instant intime et bruyant, dans ce métro brutal à en perdre l’équilibre, nous basculons, nous cognons, chavirons sans préméditation. Nous allons au pays des bois et des merveilles, avant il y a le voyage en souterrain, nos sentiments inavoués, il nous manque les mots ils s’échappent en battant de notre cœur mais collent encore à la langue. A la sortie Bois de Vincennes, les portes battants nous aspirent, nous survolons les marches un petit lutin planté sur nos épaules, suivons les allées de nos instincts, l’exploration de nos continents. Nous rejoignons le reflet dans le regard des autres, la prairie de nos jeux, les maisons aux volets clos.
On se raconte en accéléré quarante années écoulées, l’adolescence et sa maternité précoce pour elle, Mai 68 pour lui, elle, la vie en communauté, la perspective d’un monde heureux, la nature de la terre, la valeur de l’eau, la saveur du pain maison, le partage du bonheur, d’une économie habile et des fleurs dans les cheveux, lui un voyage de Paris au Népal en VW bus son engagement en politique, elle, la traversée des alpes, l’arrivée en Suisse, un paradoxe, un parcours improbable, le calme d’une famille bourgeoise aux secrets bien gardés, lui, ses productions audiovisuelles, nourrir cette soif d’entendre de voir de savoir. Nos amis éparpillés aux quatre coins de nos souvenirs.
C’est sur ce terrain que nous rejoignons nos amis de connivences, les jeux en guise de mots nous partageons la balle aux prisonnier – chacun dans son camp -, les courses de relais, le jeu du foulard, triple saut, les danses folkloriques en rond, à deux, et surtout les goûters. Pas un mot juste un son, à vivre cette spontanéité de l’instant. Demain il serait trop tard…
Aujourd’hui on se retrouve… On n’est plus sérieux quand on a …
Magnifique et bouleversant !
très belle image
oh oui, image et texte si tendres et riches de douceur !
Alors sans avoir rien que la force d’aimer
comme chantait Brel, c’est un peu ça
merci Gwenn