Comme je l’ai déjà dit, Mina, dont la forme du corps allongé se détache à peine du matelas, se fondant sous la couverture bien trop chaude pour la saison, maintenue par les coussins de part et d’autre du canapé, comme pour éviter de glisser, est d’un âge certain, tous les voisins lui envient cette santé malgré les années qui passent, on ne pense pas à son chagrin, d’avoir enterré déjà trois de ses fils, et l’amour de sa vie, non, on se dit simplement qu’elle est vigoureuse, qu’elle a de la chance, d’avoir eu un homme bon qui la nourrissait bien, elle a d’ailleurs gardé ses habitudes alimentaires, et il ne passait pas un jour sans qu’on sente le fumet des viandes et des poissons émaner de sa cuisine, on lui envie aussi ses enfants qui lui rendaient visite, ceux qui venaient de loin, les valises chargés de cadeaux, de chocolats et d’autres mets qui venaient à manquer depuis les événements, c’est Houria, sa voisine, la première à faire l’inventaire de tout ce qui rentre et qui sort de chez Mina, les visiteurs, les enfants, les femmes des enfants, elle n’a fait que des garçons cette Mina, elle en a bien de la chance, ce n’est pas pareil de n’avoir que des filles, tu ne comptes pas autant, comme celle qui a été sa belle-fille, qui lui a laissé en partant, non pas une mais bien trois filles qu’elle a dû élever, malgré la honte d’une mère qui se suicide, malgré la honte qui retombe sur son fils à elle, surement cocu, sinon pourquoi se serait-elle suicidée, elle aurait préféré qu’elle ait l’utérus sec comme la voisine du dessus, Hassiba, Hassiba est revenue chez ses parents après 4 ans de mariage infructueux, les mains et le ventre vides. On ne la connaissait que pour cela dans l’immeuble, tous ignoraient la flamme au fond de ses yeux, sa démarche ralentie par des sacs lourds de carnets et de feutres, de livres et de journaux roulés, ils ne posaient sur elle que les yeux de la honte, s’adressaient à elle comme à une personne malade, condamnée, contagieuse. La seule qui soutenait son regard, accompagnait ses salutations d’un geste amical, Hadda, ne vit plus ici. Elle a quitté le quartier, elle est rentrée chez ses parents, depuis que son mari avait rejoint les montagnes, depuis les événements.
superbe portrait.
cruauté des regards de l’entourage, poids des commérages « bien-pensants » qui appellent la honte sur les lieux du désespoir. terrible destin aussi que l’on imagine aux filles de la suicidée.
« tous ignoraient la flamme au fond de ses yeux, sa démarche ralentie par des sacs lourds de carnets et de feutres, de livres et de journaux roulés, ils ne posaient sur elle que les yeux de la honte, s’adressaient à elle comme à une personne malade, condamnée.. »
Merci, je souhaite approfondir ce texte, votre lecture est d’une grande aide.