Sonia. Son amie depuis toujours. Aucun souvenir sans Sonia. Collées ensemble depuis la maternelle. Partageant devoirs et jeux, puis bêtises et secrets d’adolescentes. Puis Sonia a fait des études, des vraies, elle a fait médecine. Viktoria l’admire pour ça aussi, elle en serait incapable. Ça, c’est Sonia. Elle sait tout faire. Et elle est belle. Crinière rousse qu’elle secoue comme un poney en cavalcade. Des étincelles dans ses yeux noisette, on ne s’ennuie jamais avec elle. Indomptable, elle a de l’allure et du charme, pouvoir de décision et endurance. Elle fait du bien à Viktoria. Elle l’inclut dans sa famille nombreuse et pleine de gaieté, les frères et sœurs se chamaillent et se réconcilient en riant, et Viktoria y trouve une place importante. Une vie épanouie qui la change de sa vie étriquée avec sa mère, rien qu’avec sa mère…
Sa mère, Marta. Marta Kovacs. Elle l’aime bien sûr, c’est sa seule famille. Et un petit peu, les habitants de la maison de trois étages où sa mère est concierge depuis toujours. Ou du moins depuis que Viktoria se rappelle son enfance. Sa mère, un fichu sur ses cheveux noirs, toujours prête, toujours serviable, toujours dévouée. Toujours là à frotter l’escalier en marbre, à astiquer la rampe en bois d’acajou, à porter le courrier, à dépanner un locataire, Viktoria a l’impression d’avoir juste une toute petite place dans les journées de sa mère. Et puis, elle ne la connait pas si bien, sa mère. Enfin, elle ne connait pas bien son histoire qui semble commencer avec sa naissance. Elle ne sait pas qui est son père, sa mère s’est toujours fermée quand elle questionne, et puis tant pis, elle n’a pas besoin de père, après tout ! Elle sait que sa mère vient d’un pays voisin, elle n’a pas perdu ce petit accent chantant, accent slave, dans les bons jours, elle dit qu’elle vient de la Hongrie, mais elle ne raconte rien à Viktoria, et puis tant pis, elle est née à Vienne, qu’est-ce qu’elle en a à faire de la Hongrie, mais il y a comme un trou dans cette histoire, et heureusement qu’elle a Sonia et sa famille…
Et voilà que maintenant, il y a Jimmy. En fait il s’appelle Luca Casanova, sa famille vient d’Italie. Mais lui, il préfère Jimmy, c’est normal, il est musicien, et les musiciens ont des noms anglais, il joue du piano, en virtuose, Viktoria admire, et il apprend la trompette pour faire comme Louis Armstrong. Jimmy est bon musicien et beau garçon. Les filles lui courent après, mais c’est Viktoria qu’il a choisie, Viktoria n’en revient pas, elle est amoureuse, elle l’aime. Elle rêve. Elle rêve d’amour éternel, de communion des âmes, elle voudrait ne plus le quitter. Et comme elle a une belle voix, au moins une chose dont elle est fière, une voix grave, rauque, une voix pour chanter avec une trompette, elle s’est jointe au groupe de Jimmy, des musiciens de jazz, jazz qui swingue, qui danse, qui met de bonne humeur. Les soirées sont occupées, on répète, on joue, on boit de la bière ou du vin blanc…
Paul. Paul, c’est autre chose. C’est le frère de Sonia. Et du coup, il est un peu le frère de Viktoria. Un grand blond, il n’a pas les cheveux fauves comme sa sœur, mais ils se ressemblent. Il est fort, il fait des études de professeur de musique et il est très protecteur envers l’amie de Sonia qui est devenue une amie pour lui aussi. Il fait partie du groupe de jazz, ils cherchent encore un nom pour le groupe. Lui, il s’occupe surtout de la batterie, il aime l’éclat des cymbales, les roulements de tambour, le mouvement des baguettes sur la grosse caisse, il se dépense, il se soule de sons, de timbres divers, il plonge et se noie dans l’harmonie du jeu…