En montant, en rencontrant
Elle les a rencontrés un par un :
La ‘vieille fille’ du premier qui ne disait pas bonjour, qui regardait l’enfant comme s’il avait fallu vite la remettre dans une cage. Vieille fille, c’est comme ça qu’on disait dans la famille. Les grands-mères s’étaient chargées de la définition : pas mariée, jamais mariée, pas d’homme dans sa vie, aigrie, toute seule, toute seule. Grise, toute grise des pieds à la tête : chignon serré gris, éternel cardigan gris d’une laine qui émettait certains jours une odeur surie, jupe trop longue sur chaussures trop plates, grises aussi. Et seule, toute seule.
Le violoniste du deuxième. Lui grimpait deux à deux des marches trop modestes pour son énergie. Boite à violon à la main. Plus tard, elle découvrirait une madame violoniste, des accords parfois dissonants derrière la porte, comme des disputes musicales. Encore plus tard, quand le soir serait autorisé, elle les croiserait, robe de soirée et smoking, en route pour un concert. Ils se déplaçaient dans une Isetta blanche, sorte de pot à yaourt dont l’ouverture se faisait par l’avant, volant accroché à la ‘portière’. Machine à parcourir les mesures à trois temps.
Au deuxième encore, Élisabeth, et ses deux nattes blondes. Elle était plus grande, plus vieille, avait un air sage que démentaient les yeux bleus rieurs. La longueur de ses cheveux, qu’elle devinait malgré le nattage constant, la fascinait : les siens avaient été coupés très courts très tôt, mère lassée des pleurs lors des lavages brutaux. Élisabeth, disparue un jour, plus jamais croisée dans l’escalier. Famille oubliée, remplacée par un couple mère-fils dont on pourrait longuement parler.
Et tout en haut, en face de sa porte, Georges l’ogre. Un homme qui vivait seul, peut-être, mais on entendait souvent des rires. Un géant pour la fillette habituée aux personnes petites. Son pas dévalant l’escalier roulait comme un orage. On ne croisait pas Georges dans l’escalier, il ne laissait pas la place, on attendait juste que la tornade soit passée. Il souriait, sans doute gentil, inconscient que sa dentition étrange accentuait encore l’image ogresque que les contes avaient ancrée dans son imagination.
« qui regardait l’enfant comme s’il avait fallu vite la remettre dans une cage.Lui grimpait deux à deux des marches trop modestes pour son énergie.Son pas dévalant l’escalier roulait comme un orage. » à chacun des quatre sa formule choc ! beaux portraits pour un voisinage à découvrir