Quatre. Quatre enfants laissés au bord du gouffre. Maman est partie. Trois filles un garçon.
La plus grande, blonde, lunettes, bras charnus, une petite robe blanche sur sa peau gourmande. Maman est partie ce matin. Elle savait, elle savait que ça arriverait un jour. Elle savait sans mot, sans conviction, juste un chatouillement dans les narines quand elle a vu l’homme sortir de la maison. C’est le copain de papa mais papa n’était pas là. Elle ne sait pas encore, l’enfant, que c’est une histoire banale, galvaudée, séculaire, usée jusqu’à la souffrance, toujours la même souffrance de voir les gens souffrir, quittés, niés, abandonnés. Maman est partie. Elle a explosé comme un volcan invisible entre les mains de la lassitude.
La deuxième ici présente n’y croit pas, ne sait pas, ne comprend pas. Maman va revenir. A quelle heure ? Où est son sac ? Elle évite de regarder son père pleurer. Un papa, ça pleure pas, pas pour une balade de sa femme. Maman est partie. Se promener, faire une course, chez sa mère, chez sa copine, chez ce monsieur que j’aime pas. On la connaît, l’histoire, toujours la même, qui fait rire les voisins, qui inspire les blagues, les films, les romans. Mais l’enfant est ignorant. L’enfant est au cœur du drame. Une tragédie en quatre temps où personne n’est un héros. Maman est partie. Elle s’est envolée avec la pluie.
Le garçon ne veut pas donner la main aux grandes. Maman, je veux maman, quoi quoi, me touche pas. Pas de bisous, pas de câlins, foutez-moi la paix. J’aime pas les filles, beurk. Nan, maman est pas partie. Menteur, menteuse, tous des menteurs. Je m’assieds par terre, dans la terre, je veux salir mon cul, salir mes mains, noircir mes ongles. Je gratte le sol, je crache pour faire de la boue. Ma bouche, c’est de la boue. Cracher sur toi et sur toi et sur toi. Tais-toi. Maman est partie. Elle va crever dans l’absence.
La dernière sourit. Elle est où, maman ? Brunette bouclée au nez pointu. Elle tend les bras, elle croit dans le pouvoir des grandes. Qu’est-ce qu’il fait lui ? Il crache, il crie, il tape dans la poussière. Il est difficile, il va se faire gronder. Maman est partie. Partie, partie, chanson du départ, jeu dans le cercle des silences, quatre angles en rond autour de l’annonce. J’ai faim, un regard vers le dos du père. Attaque de soleil. Grimace, le vent caresse les dents de lait. J’ai des poux maman. Elle est où, maman ? Tais-toi. Maman est partie. Elle va crever dans l’oubli.
et les fins de paragraphes (finissent par faire presque une petite chanson triste)