Ils étalaient leurs vérités. Lui qui parlait. Lui qui écoutait. Lui qui acquiesçait. Et lui, l’air absent, comme dans son monde. On a le physique de ses idées, et les idées de son physique. Vérité intemporelle. Dont on ne doutait pas. Qu’on ne pouvait qu’approuver. Ceux qui suivaient le débat ne doutaient de rien. Ils savaient. Savaient tant de choses. En avaient fait l’expérience. Etaient lucides sur l’état du monde. C’était dans leur nature de savoir. Et les quatre qui débattaient étaient heureux d’être le centre de toutes ces attentions. Heureux de se faire entendre. D’avoir les oreilles de tous ces gens. Et ces gens étaient heureux d’avoir les yeux de ces quatre-là. Flots de paroles. Bruits. Fracas. Des bons mots, des remarques salaces, des crachats de haine, qu’on laissait, cachés derrière un pseudonyme. On se croyait autorisés à chier sur ceux qu’on n’appréciait pas. Sur telle femme politique, trop grosse. Sur tel acteur, qui ne répondait pas assez au sacro-saint idéal de virilité. On n’était pas des enfants de chœur, mais on avait nos motifs, forcément légitimes. Ce qui me fume, c’est qu’on parle de la beauté intérieure comme de quelque chose de distinct de la beauté physique, alors qu’elles vont souvent ensemble. Les quatre étaient visiblement fatigués. Abimés par la vie. Ecrasés. Piétinés. Ils avaient quelque chose de négligé. Déjà, c’étaient des épaves. Ils devaient avoir trente ans, quarante ans tout au plus, et pourtant, ils s’effritaient. Ca les rendait beaux. Ca les rendait humains. Ils étaient fiers, se croyaient les plus forts, des surhommes, en raison de leur naissance, de contingences qui leur donnaient des raisons de ne pas désespérer, minces les raisons mais il fallait s’y agripper, et si à l’échelle de l’univers ils n’étaient rien, si même à l’échelle de la Terre ils tombaient facilement, tués par une vapeur ou une goutte d’eau, ils tiraient leur supériorité des cathédrales que leurs ancêtres supposés avaient bâties, tellement élevées qu’elles grattaient le ciel, qu’elles le déchiraient. Ils jouaient un rôle. Le rôle de leur vie. Portaient un costume bien trop grand pour leurs petites épaules. Ils avaient les cheveux en bataille, comme s’ils venaient de se réveiller. Lui venait justement de se réveiller. Il ne vivait que la nuit. Se laissait mourir jusqu’au matin. Dormait toute la journée. Et comme le phœnix, une fois le soir revenu, il renaissait de ses cauchemars. Ils avaient la peau pale. Les dents jaunâtres. Peut-être était-ce à cause de leur webcam, de leur logiciel de streaming ou de l’éclairage de la pièce. Possibles causes qui n’expliquaient pas la barbe mal taillée de celui-ci qui affichait un grand sourire mais crevait intérieurement, ou les tâches sur le t-shirt de celui-là qui travaillait à se fuir. Parfois, on allumait un joint, on ouvrait une canette de bière, sauf lui, qui était moins mal en point que les autres. Il avait des habitudes de vie saines. Des attardés congénitaux, des cas sociaux, des handicapés affectifs, pour qui rien, à part leur petite personne, n’est assez bien. Tu peux ouvrir ta gueule, que ça n’aille pas dans leur sens, que tu oses donner ton avis, sois sûr qu’un drama te tombera dessus. Tous faisaient mine d’avoir conservé une pleine liberté de pensée. Ils prétendaient être indépendants jusqu’au bout des ongles. Et à la différence du camp d’en face, ils acceptaient les opinions divergentes. Tous, en réalité, se conformaient à des usages. Un certain vocabulaire. Des thématiques. Une doxa. Evitaient les idées qui fâchent. Ne voulaient pas fâcher le flot de pseudonymes qui se prosternait devant eux. Ils avaient la gloire. Ils étaient au centre de toutes les attentions. Croyaient que l’univers entier était tourné vers eux. Lui se rêvait orateur. Lui se pensait penseur des temps nouveaux. Lui s’imaginait Président de la République. Lui attendait que ça passe. Le mec qui fume trop, on ne va pas se gêner pour lui dire qu’on est indisposé par l’odeur de ses cigarettes. Son patron va lui faire comprendre qu’il ne va pas installer d’ascenseur pour ses beaux yeux, que son mode de vie est mauvais pour sa santé, qu’il donne un mauvais exemple. Les filles qu’il drague lui font comprendre qu’il pue de la gueule. Ce discours, on l’accepte bien. Alors qu’on m’explique pourquoi pour les femmes qui avalent cinq mille kilocalories par jour, il faudrait prendre des pincettes, approuver leur mode de vie. Pourquoi il faudrait leur donner une place dans les magazines. Qu’elles montrent le mauvais exemple. Et la foule de pseudonymes d’applaudir cette opinion brillante. Chacun avec ses soucis. Ses défaites. Ses faiblesses. Ses blessures. Ses frustrations. Ses peurs. Ses doutes. Tous cachés. Tous faisant mine de. D’être plus forts que la mort. Plus forts que l’adversité. Puis forts que les tempêtes. Plus forts que les montagnes. Que la terre qui tremble. Que l’immensité de l’espace infini. Que les réseaux sociaux. Se moquant des faibles. Des opprimés. Des malades. Des malheureux. Et les quatre, vides maintenant, peinaient à tenir leur rôle jusqu’au bout. Etre crédibles. Conscients de leurs contradictions. Pleins de doutes. Se débattant contre l’exaspération qui les brûlait, contre les idées noires qui prenaient de plus en plus de place, luttant pour ne pas tout abandonner, pour ne pas se haïr. On sait tous que les femmes de droite sont plus belles que les femmes de gauche. Vérité qu’ils tenaient d’une étude danoise. Vérité dont on ne doutait pas. Qu’on ne pouvait qu’approuver.
Quittant l’écran des yeux, fatigué par ce débat qu’il suivait depuis un moment, pour les poser sur la chaise à côté de lui, il vit que Clémentine s’était endormie là. Elle était entrée dans la chambre sans un bruit. Elle se sentait bien, à ses côtés. Depuis qu’il l’avait adoptée, il avait pris l’habitude de mettre une deuxième chaise à côté de lui, pour elle. Parfois, elle exigeait qu’il lui donne son siège, plus confortable. Il s’exécutait alors, craignant de l’attrister. Ce soir-là, le désespoir avait gagné du terrain. Il se sentait coincé. Mais maintenant qu’il savait qu’elle était là, tout allait un peu mieux.
Quatre tyrans, forts de se présenter comme un jury, prescripteurs de pensée, détraqueurs en fait : aspirateurs de pensée
les sachant. Tout sachant sachant sacher doit savoir sacher sans son rien. Et les riens ne font pas les rats, et vice versa. Et puis pochon et sachet ne font- ils pas le meme bruit quand ils font boum. Mais chut ne pas déranger le chat qui dort
J’aime beaucoup cette brochette de cons, j’aimerai les observer en douce, c’est mal, mais ça fait envie. Merci.