Son père avait pourtant été le dernier arrivé à table. Et ce n’est jamais qu’un court moment qu’ils avaient été là tous les 4 à l’attendre. Chacun se ressemblant.
Sa mère n’avait simplement pas osé dire qu’elle ne l’avait pas trouvée, se taisait, perdue dans le silence de cette disparition. Elle était montée dans les chambres, le dîner prêt, chercher les frères, puis descendue au sous-sol, la chercher, elle Blanche, où elle ne l’avait pas trouvée. Etait remontée, n’avait rien dit. Cette fatigue. Les garçons déjà à table, avait rallumé les plats, puis éteints, ne savait pas quoi faire, craignait l’embarras de l’arrivée du père. Etait alors redescendue dans un sentiment de catastrophe, de mort, dans ce sentiment que sa fille était morte, était redescendue à son appartement, était allée au laboratoire, qu’elle avait ouvert puis fermé, ne la trouvant pas. Elle est remontée, s’en voulait d’avoir d’aussi sombres pensées et les disputes qui allaient suivre la fatiguaient à l’avance. Blanche est sortie sans rien dire, s’est-elle dit, elle sera sortie acheter des cigarettes, voilà, elle va revenir, et comment éviter la colère du père, qui n’était pas bonne pour lui. A la cuisine, assis l’un à côté de l’autre; les garçons avaient faim, s’inquiétaient du dessert. Où est Blanche, Blanche ne va pas tarder.
Cela faisait des jours qu’il pleuvait sans discontinuer. De l’autre côté des immenses fenêtres qui ouvraient tout le mur de la cuisine, eux dans un paquebot, la pluie tombait souveraine sur les toits.
Théo inquiet, se taisait, ne répondait que distraitement aux sollicitations de son frère qui s’agitait. Des inquiétudes à propos de l’école, une vague inquiétude, ou plutôt certaine, cet élève qui, et cet autre, et qu’il allait falloir y retourner, ce qui pourrait se passer pour n’y retourner pas, un tremblement de terre, un tremblement de terre, et être seulement avec sa mère, être seul avec elle, voilà, qu’ils disparaissent, attraper sa mère au passage, maman. Maman. Fermer les yeux. Enfouir son visage dans son giron, que ça s’arrête. Que ça s’arrête. Mais ça continuait. Bien sûr, ça continuait.
Yann lui tel un oiseau volète et se lève et se rassied, et s’éloigne, et revient, lui l’absence de sa soeur l’inquiète. Comme sa mère il redoute les scènes qui ne manqueront pas de survenir.
Le père alors rentre, et tout de suite, Elle est où, Blanche. Et la mère qui dit qu’elle va arriver, et le père qui tape du poing sur la table en se mordant les lèvres et la mère, Ne t’énerve pas chouchou, ce n’est pas bon pour toi, Oh écoute Lydie, dit-il, c’est toujours quand il est énervé qu’il dit son nom en entier, Lydie, s’il-te-plaît, ne dis rien, on sait bien que tu… On n’en peut plus à la fin. Il se tait, il ne dit plus rien. Yann dit un mot sur ses derniers résultas, J’ai eu dix, dit-il, en math. Ah, c’est bien, dit la mère, c’est formidable ça, elle ajoute. Bravo, Yann. Et, Yann se tourne vers Théo et lui parle d’une carte du jeu d’atout, Quartet, ça s’appelle le jeu, auquel ils sont occupés à jouer en ce moment, lui et son frère, un jeu sur les avions de chasse, parce qu’il sait que le père aime beaucoup entendre parler de la guerre et des avions, donc, il parle des extraordinaires atouts d’un avion untel, qui est l’avion à avoir, qui est sa carte préférée. Et Théo embraye de sa voix douce, il le fait, c’est comme dans un rêve, il répond à son frère, il parle d’une autre carte, d’un autre avion, et les voilà partis, et Yann est sur le point d’interroger son père sur un avion quand il entend derrière s’ouvrir la porte, là voilà, elle est là. Ah, mais c’est pas trop tôt, dit le père, trop fort, c’est pas trop tôt, et est-ce qu’il va falloir comme ça tous les jours, etc. Yann entend les talons de Blanche sur le plancher, il voit le visage de son père trembler d’exaspération, sa mère s’est levée, s’enfuit-elle, non, elle se lève, va chercher les plats, elle revient. Blanche s’assoit à sa place. La mère dit : C’est raté, je ne sais pas comment j’ai fait, c’est raté, elle parle du plat, et personne n’y prête attention. Et le père dit à Blanche : Alors, tu ne dis pas bonjour au créateur de tes jours ? Et Blanche ne dit rien, et le père pousse un soupir excédé, un de ses extraordinaires soupirs excédés. Et Blanche est championne pour ne rien dire, sans qu’on puisse dire que cela lui plaise, le silence où elle se mure. Donc, elle ne dit rien. La mère dit, vous, ça va être froid. Et puis, Il n’y en aura jamais assez. Je ne sais pas ce que j’ai fait. Et Yann demande ce qu’il y a comme dessert. Oui , maman, qu’est-ce qu’il y a comme dessert, renchérit Théo. Des crèmes à la vanille. Miam. Et Blanche dit J’en prends pas, régime. Et le père lève les yeux au ciel.
Rétroliens : #03bis – l'heure de nulle part
Ah, c’est parti ! Et drôlement bien parti ! Blanche, par son absence et son mutisme, nous attire déjà dans son monde bien à elle ! C’est vif et prenant et on voudrait ne pas s’arrêter de lire. Merci, Véronique !
Merci beaucoup Helena. Pas mal de doutes quand même… Bizarre de s’embarquer là où on n’avait pas prévu…