Comme c’était écrit précédemment, elle était assise par terre et pleurait ce jour-là. Elle avait certainement de tristes raisons. Il la regardait, elle hoquetait de temps en temps, et on entendait un petit couinement, comme un jouet pour chien que l’on pressait pour l’exciter. Je crois qu’elle était gênée que l’homme en gris soit là. Elle a fait un effort pour arrêter ses larmes, et elle lui a demandé ce qu’il souhaitait. Il lui a dit sa phrase, celle qu’il avait travaillée devant sa glace :
J’aimerais écrire votre histoire, s’il vous plaît.
Elle ne comprenait pas, il devait toujours s’expliquer, il ne s’énervait pas, lentement il lui parla, comme un enfant parle à un autre enfant, en jouant à l’adulte, appuyant chaque voyelle.
— Je suis écrivain, j’aimerais que vous me racontiez votre histoire, que je puisse l’écrire, il ajoutait toujours après un temps un : « s’il vous-plaît », qu’il accompagnait d’un petit sourire, et l’effort visible qu’il faisait pour faire ce sourire qui fendait ce visage lunaire, fissurait toutes les réticences terrestres. Pourquoi ? Raconter son histoire, elle n’avait aucun intérêt, elle avait une vie ordinaire, elle ne comprenait pas ce qu’il y avait à sauver de son présent. Mais il y avait ces deux gros calots bleus qui la regardaient, et quand elle plongeait à l’intérieur elle ne voyait qu’une bonté un peu bête, elle n’a pas résisté longtemps. Ces larmes ont disparu, ils ont convenu de se retrouver le lendemain après avoir échangé leur numéro de téléphone. Elle souriait quand il est parti.
Le jour suivant, il était impatient, il l’attendait au rayon jeunesse. Elle avait un quart d’heure de pose qu’elle prenait toujours à quinze heures, elle est arrivée avec un léger retard. Elle ne savait pas par où commencer, il était habitué. Alors comme il le faisait toujours, il lui conseilla de commencer par le passé le plus proche :
— Racontez-moi votre matinée.
Il prit son carnet et son stylo, la regarda en silence et attendit. Elle hésita, elle pensa tout arrêter, mais il souriait, alors elle prit une inspiration et se lança :
— Il n’y a pas grand-chose à dire, ma vie est simple. Je m’appelle Sophie, ce matin, je me suis levé à sept heures comme tous les matins. Je dois emmener ma fille Chloé chez Mathilde, c’est sa nourrice. Je déjeune avec mon mari, Aron, il s’appelle Aron, puis je vais réveiller ma fille, elle a deux ans. Vous savez, quand je la prends dans mes bras au réveil, que je sens la chaleur de son corps contre mon visage, je suis heureuse, c’est un peu bête à dire, mais c’est un des meilleurs moments de ma journée.
Elle a parlé pendant quinze minutes. Il notait tout. Ils se sont revus. Elle aimait ces rendez-vous, elle aimait être écoutée par cet homme. Chez elle, tous les jours en milieu de matinée, seule dans le salon, elle lisait dans son journal en ligne le récit de sa rencontre avec l’homme en gris. Au commencement, il lui envoyait par mail ses écrits qu’elle intégrait dans son blog, puis avec le temps elle lui a confié ses codes d’accès, et elle découvrait avec impatience tous les matins le contenu de son propre journal, comme une inconnue. Les choses ont évolué…
À seize ans on est amoureux pour un sourire. Quand Sophie a ouvert la porte pour accueillir Matéo, elle était heureuse, cela faisait longtemps qu’ils n’étaient pas allés au cinéma, elle souriait à tout, à tous. Matéo la suivait dans l’appartement en essayant de cacher sa gêne, elle lui a donné les consignes pour Chloé, elle lui a expliqué comment utiliser la télévision, et bien sûr elle lui a laissé le numéro de son téléphone portable. C’est certainement le hasard qui a fait que ce jour-là, Matéo ouvrit le journal de Sophie sur son ordinateur portable. Un raccourci était installé sur son bureau, il avait cliqué dessus par erreur. Il commença à lire. Elle n’avait rien à cacher, ce n’était pas un journal intime, un blog visible par tous, elle y faisait le récit de sa journée simplement. On y lisait son goût pour la littérature jeunesse, ces coups de griffes et ces coups de cœur, chaque découverte de sa fille faisait l’objet d’un chapitre et son mari n’apparaissait presque pas et elle faisait le récit de tous ces rendez-vous avec l’homme en gris. C’est peut-être ce portrait en léger creux de Sophie qui a mis le feu à l’esprit de Matéo, il avait l’impression que c’était écrit pour lui, qu’elle se confiait, qu’elle lui parlait. En une soirée il pensait en savoir plus sur Sophie que sur son meilleur ami. La nuit qui a suivi son esprit prit feu, un champ d’été brûlé, habité par une déesse nue. Le lendemain il était à la bibliothèque, il avait un plan, déjà/… /, c’est comme cela qu’il a rencontré Sarah…
Elle attendait sur le parvis de la bibliothèque, elle avait deviné entre les lignes qu’il s’agissait de sa bibliothèque, pourtant Sophie faisait bien attention à ne pas laisser d’indice, pour se protéger des malveillants. Mais elle avait laissé passer une petite information, une coupure de courant s’était produite aux environs de quinze heures ce jour-là. Sarah était présente à ce moment-là aux derniers étages quand le courant a été coupé pendant quelques minutes. Elle avait compris dans les premiers articles que c’était l’homme en gris qui était à l’origine du journal de Sophie. Il devait l’aider. Elle voulait que son histoire soit racontée, après tout sa vie réelle était aussi passionnante que celle de Sophie, et quant à sa vie rêvée, elle était bien plus étonnante, faite de lianes entremêlées, de mousse verdâtre et de souche moisie. L’Homme est ressorti vers seize heures, il a remonté le quai, elle le suivit à bonne distance. …
Oh ! Cela prend forme ! Je n’aurais jamais cru que cela allait prendre ce tournant. L’effet de surprise fonctionne totalement ! Merci, Laurent !
Le titre est génial !
On entre en plein suspense… effet garanti pour donner faim de ce qui suivra,
Merci Helena, merci Catherine.
Ah ! J’adore Laurent, cette envolée de personnages, j’attends la suite. Bises.