Il avait été lui, dans les institutions internationales, il disait oui, que tout cela reposait essentiellement sur une légende, que la masse monétaire en circulation n’était qu’un jeu d’addition, que c’était comme l’univers, que l’univers est en expansion, mais dans quoi, vu que l’univers contient tout, alors il disait que la masse monétaire c’était pareil, c’était un gigantesque continent, que dis-je, un immense nuage, que dis-je, une mousse, composée de millions de petites bulles iridescentes susceptibles d’éclater ou de gonfler au moindre frottement, une immense mousse en expansion dans le rien, que l’argent était à lui même sa propre référence, qu’il n’ y avait plus désormais de point fixe pour soulever le monde et que parallèlement pourtant, le monde était en lévitation et que cela c’était les changes flottants, et que tout cela même avait commencé bien avant, au sortir de la seconde guerre mondiale et que l’on était salement planté désormais, il disait, il faut toujours retranscrire à haute voix un contrat bancaire vois-tu, il ne faut jamais se laisser impressionner par la complexité, il ne faut jamais se laisser impressionner vois-tu par une formule de révision, il faut la transformer en quelque chose de tangible, un contrat c’est vivant, c’est aussi vivant qu’un arbre, il ne faut jamais jamais croire que quelque chose quelque part est virtuel, une dette ça vit, ça gonfle, ça meurt comme une plante, c’est concret, c’est aussi réel que la honte, il disait d’autres l’ont déjà dit et bien mieux, la dette c’est réel, il disait vois-tu c’est une légende et pourtant c’est profondément réel, c’est ce qu’il y a de plus réel, l’argent c’est ce qu’il y a de plus vrai, c’est le noyau, c’est la mesure de toute chose, il disait qu’il ne savait pas bien si ça devait être comme ça, qu’il n’avait rien trouvé de mieux, et il se perdait alors dans un cortège de références, et le bonhomme rond et insolent l’écoutait et il ne comprenait pas tout, et il ne voulait pas savoir que parfois il ne comprenait pas tout, alors il acceptait de croire, et croyant, il venait composer lui-même une nouvelle petite bulle aux teintes iridescentes se joignant aux millions de petites bulles iridescentes de ceux qui acceptent de croire sans fonder la pensée, et la sale petite poupée se faisait lourde à trouer le sol, la sale petite poupée toute faite de la chair de ses fantasmes pour lui dire non, secouait la tête et lui murmurait qu’en ces matières, la foi était parfois dangereuse et qu’il fallait écouter le petit monsieur qui avait été dans les institutions internationales, qu’il fallait lire ce qu’il y avait écrit en tout petits caractères et le retranscrire dans un langage simple, et le petit bonhomme rond et insolent qui remboursait chaque mois les frais financiers générés par l’emprunt contracté pour renflouer les caisses du parti secouait la tête et se disait qu’à tout prendre s’il fallait choisir entre croire et comprendre, il serait lui, homme de foi, alors son regard se posait sur les fenêtres ouvertes dans le haut mur de briques rouges pour apercevoir dans la pénombre, les moines en prière.
été2023 #05bis | Des corps
Un bon garçon, toujours prêt à aider, assez adroit de ses mains aussi, il aimait ça les jeux d’adresse oui, le corps et le coeur, c’est ça, l’esprit aussi, mais oui, le corps et le coeur et s’il fallait choisir, le coeur.
Il a tout arrêté du jour au lendemain. Je n’ai plus eu de nouvelles. Il vivait dans des squats, il bougeait beaucoup, il avait des discours, comme on dit, très théoriques. Et puis il est parti sur l’île. Et puis il a vu la crasse. Et il y avait une jeune fille très amoureuse. Aussi il y avait l’alcool et la maison. Il faisait chaud aussi. Ce jour-là je lui ai apporté des bouteilles de monoï. Et il mangeait beaucoup de bananes. Oui c’était de toutes petites bananes, des très parfumées. Avant il est venu avec un sac plein de livres, des kilos. Oui il y avait des tas de livres et je ne sais pas s’il avait même pensé à une brosse à dents. Un jour il y a eu une altercation. et lui il était à côté. Il n’a rien dit. Mais quand même il a regardé. Alors quelqu’un est mort ce soir-là. Et pus c’était sale, à coups de poing. C’est qu’on peut tuer à coups de poing. Alors c’est plus d’effort c’est tout. Mais certains sont durs au mal, durs à la fatigue. Et lui il a regardé ça. Et puis il est rentré chez lui.
La courbe du dos, la nuque. Une beauté féroce. Une démarche de chat. L’oeil par en dessous. Longtemps j’ai gardé souvenir de l’odeur de ce lieu, l’exultation, la configuration de la pièce. Ici, on peut cesser de penser, c’est ce que je me disais. C’est étonnant, oui, ces traces qu’on laisse. Il détestait pourtant… les traces. On peut cesser de penser. La joie des corps et le silence. Ici, il n’y a plus rien à dire. C’est étonnant n’est-ce pas, parfois, cette frontière si ténue qui distingue le corps d’un meuble, d’un rocher, d’un élément de décor… Il ne reste plus rien de ce lieu.
#été2023 #05 | Collage
Voitures flambent. Vélos flambent. Trottinettes flambent. Poussettes flambent. Plastique fond. Métal tordu. Goudron fond, gonfle, déformé. On peut laisser le pied ça marque, mais ça salit. Fait pour ça. C’est en libre service, ça flambe. C’est fait pour ça, du combustible. Ça sent fort. Ça fait chaud dans la chaleur. C’est beau comme un concert, ça pète, ça fuse, ça cogne. Regarde comme il rigole, là… Un peu d’essence, un briquet. Ça flambe. Attends, attends… Regarde… Une bouteille, de l’alcool, un torchon, ça se brise et ça flambe. Fascinant, la grande flamme jaune, ça lèche le mur, une grosse langue de feu, ça flambe. Le liquide ça flambe. On se dit le liquide c’est mouillé et là, ça flambe. C’est beau. Rien de plus beau. Glisser sur le toboggan, pendant que ça pète, que ça berce. C’est beau, c’est bon, c’est sans raison, c’est libre, c’est puissant, tu la sens hein ?
On pense une tempête qui passe. Quel affect hormis la joie et le goût du jeu ? Sons, lumières et odeurs tout à la fois.Je me souviens tu sais de ce spectacle… Tu sais… le groupe de danseur au milieu, une danse hachée, presque militaire, tous ensemble, très organisés, une danse, pourrait-on dire, scandée. Et l’irruption de danseurs isolés, leurs mouvements impossibles désarticulés, et immensément libres. C’était fondé vois-tu sur un noyau organisé et pour les danseurs isolés, il a beaucoup joué sur l’improvisation, il a laissé les danseurs improviser.
Devant l’attitude irresponsable de quelques uns… les véritables causes susceptibles d’amener à de telles dégradations… condamnons les violences avec la plus grande fermeté… en finir avec le laxisme de la bienveillance et la compétition des petites phrases au profit d’actes fermes et efficaces… garantissons un soutien indéfectible aux forces de l’ordre si durement éprouvées… que face à l’impératif de modération des réseaux sociaux… une nouvelle ère de responsabilité… saurons prendre la responsabilité de dire ce qui est juste, de dire ce qui est vrai… assumer nos responsabilités…
[On est le seul quartier à rien faire, 3PM, place des … On brûle tout. On pète le monop. Appel à la guérilla. Cailloux, mortiers, fumigènes, pétards, bouteilles en verre avec mouchoir et essence. On va les fumer ces fils de pute ! Faites tourner #emeutes #vengeance #19.]
Fondamentalement, oui, une chorégraphie. Tu vois… et aussi… ce spectacle à la Scala à Strasbourg tu vois.. elle était seule en scène, toute sa chorégraphie fondée sur la gestuelle des grands orateurs. A la fin, elle accélérait, elle accélérait, c’était hypnotique, terrifiant, comme une clameur, mais juste avec des gestes. Des fois, en bas des rues… un peu… le milieu et puis les franges, la danse libre, improvisée et le socle, et puis parfois peut-être on ne sait plus bien qui improvise, oui c’est un peu loin, c’est que la place est à quelques centaines de mètres, non jamais jusqu’ici, c’est comme un spectacle en miniature.
Regarde, c’est beau. J’ai tout filmé. Les silhouettes noires, les torses, les cagoules, c’est de la danse. Lui, il fait deux-cents pompes, tous les matins et du cross-fit. Juste là à côté du toboggan sur les barres. Je glisse, je filme, je filme, je fume. Ça ne dure pas. C’est juste une minute, c’est long, une minute c’est très long quand ça flambe, c’est toute la nuit. Et puis là on court, dans les ruelles, sous les arches, à travers les caves, ça cogne, ça pulse, c’est bon, le corps fonctionne. Tu vois, l’image vibre. C’est sa respiration là. Il fait le tour du stade là-bas tous les soirs. Le meilleur chrono. Regarde là, t’as vu le cadrage. J’avais plus de batterie. Des corps chauds comme au stade. Chauds comme la braise. J’ai plus de poumon, ça va éclater. Les autres arrivent. Ça cogne. C’est vif, c’est bon. Ils vont cramer. Tous cramer. Oeil pour œil… Le meilleur chrono je te dis.
Contexte de dégradation inéluctable… face aux enjeux civilisationnels… incapables et irresponsables… le mimétisme de la violence… gangrène nos quartiers…. face au trafics… ne resterons pas sans rien faire… sursaut républicain… des mesures immédiates… centres fermés… assortis de peines planchers… valeur d’exemple… décidé d’un couvre feu généralisé… à compter du… vive la république…
#été2023 #04bis | Ratios et rations
Il se dégage peu de choses à première vue d’une courbe ou d’un graphique. C’est une courbe. C’est un graphique. Il est curieux de se dire que ladite courbe et ledit graphique dans la touffeur d’une nuit d’été outre atlantique pointent la dégradation irrémédiable d’un certain ratio d’endettement et le caractère structurellement intenable de l’environnement pourtant bien concret qui vous entoure, de la chaise à la table, en passant par la fenêtre, autant de matériaux issus de processus de production eux-même conditionnés par une certaine division des tâches elle-même vraisemblablement issue d’un certain processus d’accumulation, processus dont les racines sont parfois peu claires et pour lequel les alternatives restent à cette heure avancée de la nuit quelque peu opaques et ne constituent pas quoiqu’il en soit l’objet de la discussion, discussion centrée sur le message qu’il faudra faire passer pour que la confiance, seul élément en capacité de faire tenir la courbe précédemment évoquée, du moins de l’infléchir dans la bonne direction, seule en capacité également de faire atterrir chaque objet qui soudain paraît flotter en haut de cette tour d’un quartier d’affaire outre-atlantique, ou du moins de maintenir leur lévitation dans un état de relative stabilité, pour que la confiance se rétablisse, garantissant ainsi l’ancrage affectif de tout un chacun et des plus importants, ancrage qui sera bien suffisant pour maintenir au sol ce monde où à cette heure toujours plus avancée tout paraît léviter, comme une montgolfière tire sur la corde qui la maintient au sol.
Il est seul avec son corps rond et insolent, à ses côtés, la poupée endormie, et il lit et dans la rue c’est le bruit des mortiers et il se demande ce qu’elle se dirait la femme à la casquette en entendant ces tirs, là, précisément à 2:38 du matin et n’est-ce pas incongru une heure comme 2:38 pour tirer au mortier, et il y a peut-être des flammes qui couvent ou qui déjà lèchent des murs, des flammes inutiles et sans mot d’ordre, ce n’est pas comme ça qu’il voyait les choses, et il lit et parfois il tend l’oreille puis il poursuit sa lecture et il sent que le corps s’alourdit, mais il n’est pas encore temps de dormir, il met une sonate, il pousse le son très fort, il y a la sonate dans le toutpetit appartement où il fait trop chaud et à l’extérieur, les murs rouges du couvent se parent de reflets enflammés dans la nuit sous la clarté pourtant tranchée des réverbères. En contrebas, il y a la nation en armes, mais il ne descend pas, ce n’est pas sa nation.
Demain l’avion et les porcelaines soigneusement empaquetées dans la valise, elle a demandé des porcelaines avec la griffe, elle a hésité pour savoir ce qu’elle offrirait, l’âne ou le pangolin, c’est qu’il y a deux appeaux, il y a l’âne et le pangolin, la même solidité naïve, des comme ça, cela ne cassera jamais, elle ne saura jamais si le pangolin a un jour été cassé. L’avion traverse la nuit chaude, nuit qui n’est pourtant pas si chaude à une telle altitude. En dessous, la terre a la forme de rien.
De moins en moins de bruit, de moins en moins de véhicules, est-ce pour cela que l’on est venu ici, éprouver le ralentissement du temps ? Un réchauffement qui n’est pas homogène disent-il. Un réchauffement qui se conjugue a des perturbations climatiques de plus en plus violentes et impossibles à anticiper. La maison du centre est occupée depuis quelques semaines par un groupe de migrants, un terme bizarre qui a fait irruption il y a quelques décennies, les pôles étant tellement agités qu’on ne se disait plus ni émigrés ni immigrants, ne sachant plus très bien si l’on venait, restait, ou repartait, migrant c’est stable, compréhensible, ça dit que ça bouge, pour où et pour combien de temps, on serait bien en peine de le dire, mais ça dit, c’est un mouvement, le groupe des hommes en mouvement s’est arrêté ici dans ce bourg silencieux aux portes de la grande ville et s’ennuie à quelques mètres du fleuve asséché, on voit dans la nuit la lumière rouge des cigarettes, et on entend des mots dans des langues que l’on ne comprend pas. De l’autre côté, la fenêtre donne sur le jardin où dorment les orchidées qui émettent sous la lune de drôles de lueurs, elles sont migrantes aussi, venues un jour de loin, restées là… pour combien de temps ?
#été2023 #04 | Avant Saint-Florent
Il y a le parking et la rue, puis ensuite à gauche une autre rue qui part vers la Loire et à droite vers la gare SNCF. La halle est déserte. Le pont suspendu rejoint le Maine-et-Loire.
Il n’aimait pas beaucoup cet endroit, proche de Saint-Florent, auquel il prêtait des relents rances : « cet enlisement lent, cette rigidité et ce froid funèbre qui figeait peu à peu, longtemps avant la mort, un couple de vieilles filles ruinées au fond d’une ruelle de sous-préfecture » disait-il dans les Lettrines.
Le rural est à la mode, le rural est de bon ton en particulier le faux rural, l’industrie est à la mode, l’industrie est de bon ton, le bourg est écartelé entre le rural et l’industrie, éventré par la gare et les friches en cours de réhabilitation, car l’artificialisation est mauvais genre, il faut construire la ville sur la ville, le village sur le village, l’urbanisme sur l’urbanisme.
#été2023 #03bis | Un présent et trois absents
Il y a l’homme au corps rond et insolent dans le petite appartement et la femme avec la casquette sur la tête, et le vieil homme sage qui a été dans les organisations internationales et qui dit que le néo-libéralisme décidément, mais qui aime aussi le sport, et il y a également Paul Clément Jagot mais lui n’est pas vraiment là, lui pourrait être dans la bibliothèque mais il était dans une autre bibliothèque, une bibliothèque que l’on trouve dans un pays que l’on trouve dans une ville qui est loin, et dans ce même pays dans une autre ville ou devrait-on dire un village, il y a une main qui s’est saisie d’un petit appeau de céramique dont on pourrait dire qu’il s’agit d’un pangolin mais s’il apparaît tout à fait contre-intuitif de le trouver là, dans un village du Fayoum, le pangolin, il pourrait y avoir Paul-Clément Jagot dans cette bibliothèque ou errant dans les ruelles au bas de l’appartement, ruelles qu’il a bien dû arpenter il y a des décennies étant originaire du même arrondissement quoiqu’un peu plus loin, et donc pas directement en contrebas de la muraille rouge du couvent des franciscains que peut observer le corps rond et insolent lorsqu’il sort la tête parfois pour fumer, présentant parfois par l’effet du relâchement du textile ou de son goût pour les vêtements un peu larges le haut de ses fesses inévitablement rondes et insolentes ce que se gardent bien de lui dire le vieil homme qui d’ailleurs n’est pas venu souvent, est-il seulement venu ou la jeune femme avec la casquette sur la tête, est-elle seulement venue, ce que pourrait lui dire la poupée qu’il a fait de ses mains ou du moins qu’il a modelée de la chair de ses fantasmes pour combler l’absence, ce que pourrait lui dire la poupée, ce qui fait quatre, quatre au sein de cet appartement, un présent et trois absents, celle qui se souvient d’avoir un jour ici déposé l’appeau de céramique que l’on a décrété être un pangolin, l’auteur autodidacte qui arpentait les rues du quatorzième arrondissement il y a des décennies, qui ne savait rien et a voulu tout apprendre, qui croyait profondément en la force de la volonté humaine et en bien d’autres choses et a écrit le Livre rénovateur des Nerveux, des Surmenés, des Déprimés et des Découragés, et la poupée qui se joue de lui et prépare décidément un très mauvais coup.
#été2023 #03 | Print the legend
Comme je l’ai dit, son corps tout rond se love sous la couverture et dans ce corps, il y a la révolution, la nation en armes, la légende familiale, il y a les ruptures, il n’y a jamais, jamais de retrouvailles, il y a le fil cassé, rabiboché du temps qui passe, il y a la poussée en avant. Un jour il y a, sans doute, des mouvements dans le rues et des tirs de mortier. Comme je l’ai dit il y a le corps, insolent et glorieux, le dos légèrement bombé et la marche ondoyante du chat.
A côté du corps tout rond, insolent et glorieux, comme je l’ai dit, il y a la femme muette avec de grands yeux et puis le rire carnassier. On peut l’habiller comme une poupée, une poupée qui résiste, une poupée moqueuse, c’est ça dis le paradoxe, c’est une poupée qui habite l’espace, une poupée muette, et on peut la toucher, on l’a créée de toute pièce, et pourtant elle dit non, elle vous nargue, dites, on peut vous croyez concevoir soi-même la poupée qui vous nie ? Elle est assise et il la voit de dos, il aime bien je l’ai dit, regarder sans être vu, c’est comme être tout petit. La poupée, elle fait tout ce qu’il dit, elle dit non comme il lui dit. Elle joue du piano, elle sait chanter, elle fait de la moto aussi, elle est fine et elle aussi a le corps insolent, les petites fesses bombées insolentes, les petits seins ronds et hauts insolents, et un sourire en coin, surtout quand on ne la regarde pas, toujours un sourire en coin, elle prépare un mauvais coup la poupée. Elle réchauffe le matelas, elle coule comme de l’eau contre son corps à lui, elle est comme une combinaison, elle épouse parfaitement les formes de son propre corps la poupée qui résiste et contre laquelle il se love en s’endormant. Quand il le veut, elle disparaît la poupée et ses formes insolentes et l’odeur de sa nuque et de ses cheveux reste quand même au creux des oreillers. Comme je vous le disais c’est une poupée, elle n’est pas tout à fait réelle, il est bien en peine de penser le passé de la poupée, ce sont des bribes de passé alors d’autres personnes, des poupées qui ne sont pas là, des femmes disparues, des femmes comme I.
I. est toujours coiffée d’une casquette et a une voix douce et feutrée comme un joli bout de moquette contre lequel se gratter. Elle appelle elle aussi à la rébellion. I. n’aime pas l’injustice. Très jeune, elle n’aime pas l’injustice. Pourtant il y a des gens très jeunes, qui aiment beaucoup l’injustice matin, midi, soir. Il disent d’ailleurs au premier entretien, moi j’adore l’injustice, l’iniquité, ça me dynamise. I. n’est pas comme ça avec sa caquette gavroche fichée sur sa tête au-dessus des cheveux longs. Elle est fille de bonne famille, mais de famille simple, on peut être une famille simple et bonne dites, comme le pain, c’est simple et bon, I est d’une famille comme du pain, et elle n’aime vraiment pas l’injustice, elle appelle à la correction des inégalités sociales et ils en parlent ensemble le soir avec D, des inégalités sociales et de la trajectoire socio-historique qui en est l’inévitable cause, à se dire que le ver est dans le fruit, comme il est là, toujours, rassurant, constant, heureux, tranché en deux, dans la pomme issue de l’agriculture biologique mais pourtant alors qu’il y a quelque bonheur à constater la présence du ver dans la pomme issue de l’agriculture biologique il y a frustration à l’observer dans la pomme qui tombe de l’arbre dans le jardin d’Eden, mais personne, personne pas même I et D n’ont donc trouvé à se satisfaire du fait que la pomme du jardin d’Eden est issue de l’agriculture biologique où l’on conclut que I et D, les vieux amis de l’homme au corps rond et insolent, n’ont pas encore été au bout du raisonnement qui doit les conduire à observer avec recul et un peu de satisfaction la trajectoire socio-historique lors de leurs causeries au déjeuner et au diner c’est qu’ils causent, ils aiment ça, et ils chantent, et c’est après que parfois ils tranchent une pomme en morceau et coupent par inadvertance le témoignage inscrit au sein de la pomme, la trace, la preuve que cette dernière est issue de l’agriculture biologique et qu’il est parfois bon, heureux, somme toute tout à fait chouette de constater que le ver est dans le fruit.
C’est que comme je l’ai dit, D. est assis sur un gros tas d’années, et il regarde le monde de tout là haut, comme du haut de la pyramide, il regarde la trajectoire socio-historique se dérouler, filer, trouver ses origines, D n’appelle pas à l’émeute, mais tout de même il n’aime pas beaucoup l’injustice, tout est parti en vrille des les années 40, on n’a pas écouté Keynes, et les changes flottants ont fait le reste, D a été dans les grandes institutions internationales et n’a jamais bien compris la place tangible, réelle, matérielle qu’a pris l’argent, il dit c’est virtuel, ça se mange pas l’argent, c’est pas un boeuf, si c’était un boeuf, on n’essaierait pas tant de l’accumuler, si c’était un boeuf, être milliardaire serait un enfer, D et sa femme c’est des échanges d’idées souvent, si pensés, si poussés qu’on se demande quand et comment ils ont aussi échangé des fluides corporels, parce que c’est trop tangible aussi les fluides corporels alors c’est étrange tout de même, ce D qui vous parle ainsi de l’extrême virtualité des choses, avec son nez, ses doigts, sa bouche, et ce corps juché sur sa pile d’année et dont le corps disparaît, pour autant il n’est pas contre, il y a quelque chose aussi du goût du sport, ils sont tous comme ça cela dit, D en somme est plein de paradoxe, il parle de ce qui est tangible, et le beau corps rond et insolent qui, comme je l’ai dit, parle aux poupées, poupées comme je l’ai dit, partiellement inspirées de personnes réelles trouve ce mot plein de possibles, il dit c’est tangible, et alors il entend qu’il doit prendre la tangente au Taj Mahal, c’est qu’il est bien embêté le corps rond et insolent qui contient la nation en armes, tout hanté de jeux de mots potaches qu’il est alors que la révolution c’est sacré et qu’on ne peut pas nécessairement toujours, soulever une armée avec des jeux de mots en tout cas certainement pas en proposant au peuple bon et simple comme le pain de prendre la tangente au Taj Mahal.
Pour autant on peut lire aussi dans le ventre du corps rond et insolent, la mémoire du grand-père, de la collaboration, des années troubles et des prétextes, celle des dîners en famille, et le château là-bas dans le sud, un espace pas bien localisé fait d’attaques acides, de mémoire, de tensions musculaire, dans le corps rond et insolent où l’on n’espère jamais, jamais de retrouvailles mais bien plutôt des confrontations, un bloc muet qui aspire au chant et au langage et s’évanouit parfois, en musique, on peut lire la querelle du sens logique et l’aspiration à la beauté mathématique, le goût brouillon aussi des traits mal dessinés et de l’aquarelle qui décèle aussi bien qu’elle masque le contour des choses, on peut voir aussi ce que dit, ce que fait, ce que modèle la main quand elle s’égare et se hasarde à fabriquer, et l’oeil tantôt ouvert tantôt fermé, sur d’autres langues, vivantes, âpres, austères, rassurantes, lignes de codes à l’infini commandant de grosses machines un jour produites par d’autres machines un jour issues des plans de quelque cerveau humain, comme je l’ai dit, en somme la querelle entre la matière et l’idéal et un corps rond et insolent entre les deux, pas bien décidé à opérer un choix entre ces polarités tout aussi indissociables qu’en apparence radicalement opposées, querelle trouvant à se matérialiser un jour sous les traits d’une merveilleuse poupée, poupée dont la fabrication lui a donné bien du mal et qu’il paye chaque jour car la poupée, décidément est bien là pour faire un mauvais coup.
Et les cloches sonnent midi dans le monastère aux briques rouges. Et la matière rencontre la matière. Et les moines chantent. Et la prière monte comme une fumée. Et lui aussi d’ailleurs fume. Corps rond et insolent penché tout contre la rambarde à observer les minuscules lignes du trottoir.
Et les cloches sonnent midi dans le monastère aux briques rouges. Et la poupée attend minuit pour s’incarner. Dans les rues on entendra piétinements, vitrines cassées et tirs de mortier. Et il se demandera le corps rond et insolent ce qu’a bien pu devenir la femme à la casquette et ce qu’elle entend à cette heure dans les rues et ce qu’elle pense des vitrines cassées, et si elle ressent un peu d’amertume à observer quel genre de révolution sans langage se déroule en bas des immeubles, c’est peut-être que les places ici ne sont pas assez rondes, assez ouvertes, assez lumineuses. Comme je l’ai dit D y voit un coup des néo-libéraux, mais derrière les discours théorique de D, il y a aussi la conviction, discrète, solide et profonde que l’on ne va nulle part si le corps n’est pas embarqué, si l’imagination n’est pas tirée, si quelque chose quelque part ne trouve pas son équilibre entre l’affaissement face au sacré et la chaleur enveloppante d’un corps, quel que soit l’origine d’une telle chaleur, toile de maître, architecture, reflet mouillé sur une tige, chacun étant en mesure d’en faire son affaire, le monde est vaste et riche et fertile à qui l’observe avec suffisamment d’attention, ainsi pense D, c’est ainsi du moins que s’en souvient le corps rond et insolent, frappé soudain d’une forme de mélancolie alors que les cloches battent dans le midi idiot d’un milieu de semaine et que tant de milieux ne peuvent à un moment que nous engluer dans une forme de médiocrité, un injuste milieu, qu’il conviendrait donc de secouer et avec lui ce corps à la grâce infinie aussi trouble qu’exquise.
#été2023 #02bis | Fayoum
Il fait frais dans la boutique. Elles se succèdent ainsi dans les ruelles du village de Tunis. Sur les étagères, des poteries de toute taille et de toutes les couleurs. S’y trouvent les motifs végétaux et animaux, qu’on dit « naïfs » caractéristiques du Fayoum et ces turquoise aussi qui nous font voyager un peu plus au Nord, un peu plus à l’Ouest dans quelque échoppe de Lisbonne. L’homme est dans l’arrière boutique. Certaines poteries présentent sa griffe sur l’envers. Parmi les bols, assiettes et autres plats, de petits animaux ont trouvé place, un âne ainsi qu’une espèce non identifiée dont la robe est ornée de pois bleu, des appeaux. Ce sera un pangolin, petit animal à la mode pour quelque obscure raison… Un pangolin d’Egypte.
A la sortie du métro Alésia, une longue avenue mène vers Montparnasse, Gaité, et les allées du cimetière. La rue Froidevaux dont le nom laisse imaginer une voie humide et sombre glisse vers le lion de Belfort et l’entrée des catacombes dont le réseau croise celui des carrières. En sens inverse, l’avenue part vers Plaisance, Pernety, les portes de Paris, les immeubles de brique et d’acier du quatorzième arrondissement, l’architecture bizarre de l’église Notre Dame du Travail. Au croisement de l’avenue d’Alésia, se succèdent des alignements d’immeubles en pierre de taille et se dresse soudain, inattendue dans la rue étroite, la haute façade rouge du couvent saint François.
Le couvent des frères dominicains se situe au Nord du Caire dans le quartier d’Abbasiah. Le taxi longe des artères peu éclairées, des routes semées de pierre et de poussière. Les phares et quelques projecteurs laissent entrevoir des pans de roche creusée et des structures de béton sans usage. Un entrelac de lignes grises s’interrompt devant l’entrée absente d’un mall inachevé. Un parfum douceâtre d’ordures flotte dans l’air et plus âcre, de carburant et gaz d’échappement. L’accès à la propriété, encadrée de hauts murs se fait par une porte en ogive. L’entrée principale donne sur un hall qu’entoure une structure grillagée évoquant des moucharabiehs. L’espace est baigné d’une faible lueur émanant d’une suspension multicolore. Un couloir sans lumière conduit de la bibliothèque à l’espace d’étude. Au-dehors se dessinent dans l’ombre, les contours de colonnes et de palmiers. Les rayons sont divisés en thématique : histoire de l’église, liturgie, textes sacrés, vie de saints. Dans Médecine et sexualité, œuvre du groupe lyonnais d’études médicales philosophiques et biologiques, au paragraphe, chasteté, certaines indications précisent les causes et remèdes à l’hypersexualité féminine. Au rayon Psychologie, philosophie morale, se trouvent entre autres le Communisme chez les insectes et la Méthode pratique de Magnétisme, Hypnotisme, Suggestion de Paul C Jagot, Cours d’expérimentation à la portée de tous, 1949. Paul Clément Jagot, né le 17 juillet 1889 dans le XIVe arrondissement est également l’auteur du Livre rénovateur des Nerveux, des Surmenés, des Déprimés et des Découragés. Philippe Plaisir attribue 4 étoiles sur cinq à l’ouvrage sur le site Amazon le 16 mars 2014 rappelant toutefois que la meilleure de ses œuvres reste le pouvoir de la volonté.
Partiellement protégés dans le fonds d’une valise, le pangolin et l’âne survolent la Méditerranée. A proximité du couvent saint François, est un immeuble en pierre de taille et à l’étage, un petit appartement, un peu trop froid l’hiver, un peu trop chaud l’été, un petit appartement qui ne semble jamais fini, dans laquelle s’enfouit comme un chat dans son couffin, un corps rêveur aux mouvements lents et serpentins. Un jour, à côté de la chope de bière qui chante, à côté des livres rarement feuilletés et de tout l’inutile qui déborde et s’empoussière sur les étagères, on peut trouver un petit animal en céramique d’une espèce inconnue à la robe à pois bleu. C’est un appeau. Il émet un joli bruit. C’est un pangolin du Fayoum.
#été2023 #02 | Pangolin
La fenêtre donne sur la rue et les toits. Au matin les oiseaux piaillent au-dessus du futon. C’est entêtant. Dans le mur, les placards encastrés et le piano au milieu. La fenêtre est ouverte. Parfois le désir rôde. L’air circule, balaie le sol, remue l’air qui remue l’air, qui remue l’air jusqu’à la fenêtre du salon qui donne sur le monastère aux pierres rouges. C’est comme un monument italien dans une ville qui n’est pas italienne. Derrière les vitres, sûrement les moines prient. Au-dessus, c’est le grand ciel, il y a des joies de jour de pluie et des clapotis même en été, des souvenirs de pluie, des idées de pluie. C’est petit. Le plafond a des accidents et des angles de soupente. Sur le large évier en pierre, le robinet déverse son jet vertical sans bruit. La vaisselle éparse envahit le plan de travail. Des structures en acier attendent des tiroirs jamais montés et le mur blanc flanqué sur les hauteurs d’un minuscule chauffe eau thermodynamique, des étagères. L’acier et le chêne se mêlent et composent un objet en devenir dans l’attente d’un sursaut, d’une forme et de finitions. Dans la bibliothèque, quelques livres, se côtoient Einstein et Beethoven, ouvrages de physique, mémoires d’homme politique, Schiller et tracts militants, des cadeaux de proches et de moins proches. Sous un globe de verre, la lumière fait tourner une pale fragile par quelque mystère mécanique mêlant chaleur, et autre phénomène physique oublié. Un appeau en céramique provenant du Fayoum en forme de pangolin gît aux côtés d’une chope de bière qui chante lorsqu’on la porte aux lèvres. La salle de bain est carrelée de pièces de travertin de taille inégale. Dans la douche, des récipients à moitié vides, des gels douche au parfum puissant et chimique, un pain de savon toilette intime, un rideau blanc jauni à sa base, piqueté par endroits de quelques points de moisissure. De la lucarne à trois mètres de hauteur, une lumière blanche coule comme d’un puits. S’y glissent indifféremment la grâce, le froid, l’impatience et les pères Noël. Dans la chambre, sur le matelas, Le corps rond pesamment étendu dort d’un sommeil d’enfant, d’arbre ou d’animal que traverse à l’orée du réveil une sensualité tout à la fois lourde et mutine.
#été2023 #01bis | J’sais pas quoi faire
Qu’est-ce que j’peux faire ?… J’sais pas quoi faire… Qu’est-ce que j’peux faire ?.. J’sais pas quoi faire… Alors, lire des trucs, puis raconter des trucs, puis regarder des trucs, puis lire des trucs sur ces trucs qu’on regarde et raconter des trucs qu’on a lus sur les trucs qu’on a regardés, il y aurait des couleurs, il y aurait des bonhommes, il y aurait des bonnes femmes, des paysages, des miniatures, des petits mondes oui, foules de petits mondes emplis de foules, ce serait les tableaux de Brueghel fourmillants de vie, des petits bonhommes affairés, agités, marchant d’un bon pas dans leur périple minuscule, des horizons, des mers gonflées, des petites bonnes femmes caustiques, aux pantalons de coton râpé, des hordes de gamins rieurs, des grottes aussi et des montagnes, et dans la montagne, bien sûr, le vieux de la montagne et les fumeurs de haschich… C’était pas l’urgence d’écrire, c’était, ce jour-là un mélange vois-tu de vitalité et d’emmerdement. Ça aimait les synonymes, ça dégueulait de l’adjectif, ça adorait les listes, les énumérations, les gradations, ça allait toujours plus loin, ça grinçait un peu, ça tournicotait autour du cliché et puis de l’anecdote, tout ce qui fait couleur, c’était douteux, c’était criard, ça voulait mélanger le rose et le doré, et puis le mauve et puis le bleu… Ça en foutait partout. Qu’est-ce que j’peux faire ?… J’sais pas quoi faire… Qu’est-ce que j’peux faire ?… J’sais pas quoi faire…
#été2023 #01 | A sec
A sa droite, le fleuve se tortille, puis s’assèche. Le profil des berges change année après année. Entre les bancs de sable, des filets d’eau s’écoulent puis se tarissent à la fin du printemps. Avec satisfaction, elle voit disparaître les jetskis qui sillonnaient encore hier le large fleuve. Les ponts en cage étendent leur carcasse brûlante. Au-delà du rond point, c’est un pont suspendu qui s’élance vers le département limitrophe. La demeure bourgeoise fait face aux îles qui ne conservent cette caractéristique désormais que quelques mois par an. Derrière la silhouette massive, le petit jardinet est semé d’orchidées, d’orangers, de bananiers. Les bleu vifs du ciel laissent place à des teintes plus jaunes, opaques, perpétuellement embuées par l’humidité et par la poussière. Elle écrit au rez-de-chaussée, face au jardin, le matin, le soir également, entre deux longues marches, parce qu’elle ne sait pas peindre ni jouer d’aucun instrument. Elle écrit du dehors, avec des politesses d’exilé, détachée de ces lieux qui ne l’ont pas vue naître et grandir. D’année en année, elle ritualise, esthétise chaque geste. Les journées sont longues et courtes, longues car elle prête une plus grande attention désormais aux sensations, aux couleurs, à l’écoulement des minutes, courtes car la répétition densifie comme elle érode, longues et courtes aussi dans un monde imprévisible où saccade et fixité se succèdent et se juxtaposent. La radio parfois est allumée. Les rumeurs de nouveaux conflits envahissent la pièce et contrastent étrangement avec la stupeur du bourg, dont le centre a lentement muté sans pour autant perdre ses traits, ni village ni ville. La bibliothèque, composée d’étagères en chêne, comprend peu d’ouvrages, ceux qu’elle a choisis et ceux dont elle a hérité, partiellement masqués par quelques bols de céramique et un vase de verre soufflé. Les objets sont rares et ne sont réellement que par cette rareté et une certaine forme de rayonnement, de matérialité brute. Un des ouvrages est Louange de l’ombre de Jun’ichirô TANIZAKI. Elle l’a offert souvent. Objets, essais, romans, se répondent. Elle qui ne sait pas peindre et n’entend rien à la musique, trouve là d’autres rythmes et de ces rythmes naissent parfois des phrases qui s’insèrent dans cet espace et lui font écho. Et c’est cela qu’elle nomme lieu et qu’elle nomme habiter.
Plaisir qu’il y a à se laisser glisser non seulement d’un personnage à l’autre, mais aussi dans les dimensions du temps et de l’Histoire (une histoire en train de se faire) (plaisir que j’ai aussi rencontré à la lecture de « Féerie générale », E. Pireyre)
Ha bah c’est l’écriture de quand j’avais vingt ans ça, une espèce de régurgitation qui peut traîner sur des pages et des pages. Je m’en suis toujours un peu méfiée.
Celle de « J’sais pas quoi faire » ? Et pourquoi (t’en méfier) ?
La valeur travail pardi ! Si c’est spontané c’est du chiqué, si ça sue c’est vrai. Le petit texte Mars la rouge, le drôle de truc qui fait d’une plage bretonne un endroit fort inquiétant par exemple, ça sue un peu.
Alors je reviens de « Mars la rouge » et pour faire écho à ton commentaire qui met en concurrence le concret et le légendaire, je me demande si dans ta matière spontanée il n’y a pas un élan narratif/verbal qui ne demande qu’à être travaillé — affiné, cultivé, fouillé, comme tu veux… et un contrepoint au « statique » et au « méditatif » (j’avancerais : descriptif ?). Les deux pôles par contraste se mettant l’un l’autre en valeur. (Mais tout cela t’est certainement déjà passé par la tête…)
La spontanéité est partie prenante du travail. Travailler oui. Mais travailler ses pentes et penchants oui++
Et sinon : quid de Liberty Valance ?
Les personnages que je décris sont inspirés de faits réels, je croise beaucoup d’individus traversés par des élans politiques, artistiques. Print the legend est ironique. Je pourrais aussi bien reprendre l’adage « nul n’est un héros pour son valet de chambre ». Certains diraient parce que le valet ne comprend pas les héros, pour ma part c’est plutôt que j’ai un regard distancié sur la figure du héros… ha mais dira-t-on, que reste-t-il à raconter si l’on revendique une certaine médiocrité ? Et bien le romantisme mort, Martin Parr qui photographierait un défilé Chanel…
Une écriture photographique ( même intérêt pour Martin PARR) ? On est bien obligé.e.s de mettre la focale quelque part et si possible bien viser ce qui trouble et questionne. J’aime beaucoup vos « prélévements » qui ne sont pas aussi médiocres que vous voulez bien leur accorder. Si ce n’est pas de l’amusement, ce n’est pas du désabusement, votre écriture est incisive, virevoltante et peut-être un peu révoltée aussi. Elle passe dans l’air comme un drône un peu taquin. Vous dire que ça me plaît tout simplement.
pas trop révoltée, je ne suis pas sûre, merci pour cette promenade dans mon potager
Cette façon de raconter du puissant, de l’émouvant avec des mots qui restent à distance du pathétique. Ça meurt,ça désire fort, ça cogne, ça fait mal et alors ? c’est comme ça.
Tu vas dire que je suis paresseux (vrai) : ton truc de mettre tous tes textes les uns au dessus des autres, ça aide pas à laisser un commentaire pertinent.
Merci Marion.
J’ai rectifié la présentation, résultat j’ai envahi le site d’articles anciens…
« […] et le bonhomme rond et insolent l’écoutait et il ne comprenait pas tout, et il ne voulait pas savoir que parfois il ne comprenait pas tout, alors il acceptait de croire, et croyant, il venait composer lui-même une nouvelle petite bulle aux teintes iridescentes se joignant aux millions de petites bulles iridescentes de ceux qui acceptent de croire sans fonder la pensée, et la sale petite poupée se faisait lourde à trouer le sol, la sale petite poupée toute faite de la chair de ses fantasmes pour lui dire non, secouait la tête et lui murmurait qu’en ces matières, la foi était parfois dangereuse […]
.s’il fallait choisir entre croire et comprendre, il serait lui, homme de foi, alors son regard se posait sur les fenêtres ouvertes dans le haut mur de briques rouges pour apercevoir dans la pénombre, les moines en prière. »
Les petites bulles maléfiques n’ont pas fini de nous revenir dans la figure, c’est comme le liquide de la Trempette dans le film Roger Rabbit …https://www.youtube.com/watch?v=rBVHtcwYHCw&t=41s
ha je ne le voyais pas nécessairement maléfiques mais instables, merci de ton passage
Bonjour,
Suite à lecture de la 6 : une prouesse de lyrisme et des images – attention de ne pas te les faire prendre – qui plairaient à plus d’une chargée de com rédigeant les documents d’assemblée générale…la chute en est d’autant plus terrible, après toute ce transparence…
merci Catherine, peut-être qu’à les fréquenter assidument en passager clandestin pour voir quelle langue s’y déploie et ce qu s’y joue (les AG), j’y prends quelques tics de langage
J’aime beaucoup cette effervescence de bulles en expansion, assez vertigineuse… du coup, la chute m’a surprise… il faut que je reprenne tout depuis le début des textes. En tout cas, très réussie cette 6 !
Merci Muriel, je tourne autour des personnages qui ont émergé au début du cycle, c’est encore sans profondeur psychologique ou géographique, cela tourne spontanément autour de la question de la danse, de l’émeute, de la monnaie et du militantisme, un peu de l’amour aussi… mais ce ne sont pas les concepts qui font les histoires mais le déploiement de quelque chose. On verra bien. Je crois comprendre que tes personnages sont en germe depuis quelques temps déjà.