Comme je le disais, elle tentait par le geste d’écrire de rassembler un corps et un esprit qui ne se parlaient pas bien. Cela ressemblait à un petit décalage qui la mettait parfois dans des situations délicates. Souvent son corps globalement absent se coupait de son milieu pour passer totalement inaperçu, et si jamais le charme d’invisibilité que donne généralement l’absence à soi était rompue par un curieux, son corps emmagasinait l’énergie reçue mais ne la rendait pas. Comme je le disais, le geste d’écrire devenait alors un possible investissement de l’énergie reçue et la transformait en traces permettant la réflexion dans l’après coup. Comme je le disais son corps absent à lui-même ne rendait pas les coups, et il n’était pas non plus insensible aux marques d’affection, qui nourrissaient en grande partie le contenu des pages de ses cahiers. Comme je le disais, l’amour et les coups reçus dans sa vie étaient tous les deux digérés par le geste d’écrire plutôt que vécus au grand air et dans la vraie vie.
Comme je le disais, elle tentait entre les quatre murs d’une chambre à soi, voulue par son père comme un des grands principes d’une éducation bien pensée, de défaire les actions menées dans la journée, et comme je le disais, alors qu’elle aurait préféré rester invisible, elle avait part à la vraie vie et aux relations d’affection et d’amitié avec ses pairs. Elle y prenait part mais souvent comme je le disais c’est dans l’après coup qu’elle aurait aimé ébaucher telle ou telle réponse, et ça c’était l’écriture qui le lui permettait. Par exemple, lorsqu’elle était trahie par une amie, elle écrivait qu’elle aurait aimé se disputer avec elle pour repartir sur de bonnes bases, mais ça elle ne le pouvait pas en dehors des quatre murs de sa chambre, elle ne le pouvait pas en dehors de l’écrire qu’elle aurait aimé se disputer et qu’elle l’aimait, car ça elle ne le pouvait pas pour de vrai. Comme je le disais dans ces moments là elle aurait préféré rester invisible pour être un objet d’amour absolu, non envahissant, un peu comme au tout début de la vie, dans les plis d’une mère joyeuse et inconsciente. Comme je le disais il y avait une rencontre avec le monde qui ne s’était pas complètement faite, et comme je le disais de cette rencontre ratée était né ce pouvoir de disparaitre aux yeux des autres, mais c’est surtout une rencontre avec le visage de sa mère totalement occupée ailleurs qui lui avait manqué, et elle avait pris le parti comme je le disais de devenir la moins encombrante possible, et comme je le disais l’invisibilité est un trait qui correspondait bien à son caractère, à celui de sa mère et au milieu dans lequel elle évoluait. Comme je le disais elle préférait mieux être invisible et aimée, que de devoir répondre à telles ou telles marques d’affection ou d’antipathie, au risque d’être séparée, et qui sait, même pas elle, de quelle falaise alors elle aurait chutée.
Les répétitions fonctionnent comme des antiennes, des points de couture entre pensées flottantes sur une mer agitée. J’aime ce flot, merci.
Contente de vous avoir emporté, et merci de souligner le rythme que j’essaie de trouver dans mes textes, merci aussi de votre commentaire
Ou comment l’acte d’écrire peut parfois réparer – Merci Marie.
Il s’agit de cela oui, le plus difficile étant de trouver le bon ton. Merci d’être passée par là, contente de vous retrouver
« Comme je le disais il y avait une rencontre avec le monde qui ne s’était pas complètement faite, et comme je le disais de cette rencontre ratée était né ce pouvoir de disparaitre aux yeux des autres, mais c’est surtout une rencontre avec le visage de sa mère totalement occupée ailleurs qui lui avait manqué, et elle avait pris le parti comme je le disais de devenir la moins encombrante possible, et comme je le disais l’invisibilité est un trait qui correspondait bien à son caractère, à celui de sa mère et au milieu dans lequel elle évoluait. Comme je le disais elle préférait mieux être invisible et aimée, que de devoir répondre à telles ou telles marques d’affection ou d’antipathie, au risque d’être séparée, et qui sait, même pas elle, de quelle falaise alors elle aurait chutée. »
Affaires sensibles… Votre texte est très explicite sur la fonction de l’écriture dans une relation au monde impactée par la fragilité du lien primaire. Aimer, être aimé.e comme risque majeur à affronter sans filtre maternel rassurant. Puisse l’énonciation élégante et non violente redire et colmater le manque, qui n’est pas un manque à dire, puisque c’est dit et …répété… Merci Marie !
Merci de souligner la question du risque et du manque, essentiel dans ma démarche actuellement, et merci du commentaire qui me fait avancer