Comme déjà dit, une silhouette féminine, un peu effacée. Mélancolique. Jolie fille, mais elle ne s’aime pas. Cheveux noirs, coupe au carré, un peu à la Louise Brooks. Grands yeux verts, des lacs de montagne, comme disent de vieux admirateurs. Mais elle, elle ne s’aime pas. Ne se voit pas comme ça. Voudrait une crinière rousse et l’assurance qui va avec. Comme son amie. En fait, elle voudrait toujours être quelqu’un d’autre, Viktoria. Même son nom, elle ne l’aime pas. C’est sa mère qui l’aime, pas elle. Fille unique d’une mère seule, qui la couve, l’encourage, la poussant tant et plus, tu peux faire mieux, travaille, ma petite merveille, ma gagnante, tu es la meilleure…et voilà que ça lui enlève tout courage et qu’elle se recroqueville dans son coin dès qu’il s’agit de se tester, de se dépasser, de faire des rencontres inattendues, comme si la vie était trop compliquée. Et pourtant, elle est forte aussi, quand elle fait le vide dans sa tête, bonne élève, bonne étudiante, mais toujours sans conviction, elle verra, elle a essayé histoire, langues vivantes, sport aussi, elle a fini secrétaire trilingue. Sans passion. Mais le goût du sport lui est resté, dès qu’elle peut, elle court pour respirer, pour se dépasser, toute seule, dans les rues, dans les parcs, le long du canal…Et puis la musique ! Après les leçons de piano, elle a tenté le chant, sa voix grave, rauque l’a emmenée vers le jazz, le blues, et là, elle respire pour de bon, Elle ne pense plus, elle chante. Chaque soir, après le travail, elle retrouve ses compères, un groupe de jazz qui se réunit dans une cave et avance, fignole, rayonne…