#été2023 #03 bis | Le père, la fille, la sainte et la vieille.

L’une nettoie le fond des vases, tandis que les trois autres semblent l’ignorer. Une pellicule gélatineuse et malodorante a souillé le fond des vases. Il s’agit pour l’une de nettoyer cela sans attendre, tandis que les trois autres organisent la cérémonie qui se tiendra dans ce lieu. L’un parle aux deux autres d’une voix douce et expérimentée, tandis que celle qui nettoie souffle en rabattant sa lèvre inférieure sur sa lèvre supérieure, car elle frotte énergiquement la matière impie déposée dans le fonds des vases. Une qui organise porte une fourrure légèrement râpée et un collier de perles, elle regarde l’autre, qui organise aussi, avec impatience, elle ne regarde pas celle qui frotte et qui souffle, elle regarde surtout celui qui parle de sa voix douce et expérimentée. Un balai tombe et cela fait sursauter ceux qui organisent et souhaiteraient, semble-t-il, organiser en paix, mais ne tiendraient pas plus que cela à frotter le fond des vases. Celle qui frotte et qui souffle, balaie maintenant d’imposantes dalles de pierre à grands coups énergiques, car c’est un lieu particulièrement exposé à la poussière et aux regards attentifs et potentiellement reconnaissants du Dieu qu’on y prie. Les trois qui organisent continuent d’organiser. Celle dont on n’a pas encore parlé, qui écoute celui qui parle de sa voix douce et expérimentée et qui impatiente, sans s’en rendre compte, celle qui porte fourrure et collier de perles, sourit tout le temps, tandis que les deux autres se jettent un regard entendu. Celui qui parle de sa voix douce et expérimentée hoche la tête avec retenue, il écoute plus ou moins celle qui sourit tout le temps et qui, d’une petite voix fluette et aiguë, exprime son désir de s’impliquer, de chanter peut-être, et peut-être de chanter à l’ouverture de la cérémonie qu’on s’applique à organiser, et sa voix tremble alors. C’est l’émotion qui la fait trembler. Celle qui frotte, souffle et balaie, s’éponge le front de sa main humide, car après avoir frotter le fond des vases et balayer les dalles de pierre sous le regard d’un Dieu comptable, elle passe maintenant la serpillière, et cela, on le suppose, sera également mis à son actif quelque part dans les cieux cléments. La voix tremblante de celle qui sourit tout le temps s’est perdue dans les cintres. Fourrure râpée et collier de perles a baissé les yeux. C’est la gène qui lui fait baisser les yeux. Voix douce et expérimentée serre brièvement ses lèvres rosées. Puis il sourit, puis il remercie celle qui ne sourit plus vraiment, chanter on verra cela, oui, pourquoi pas, on verra cela. Fourrure râpée et collier de perles sourit à son tour, avec bienveillance. Celle qui frotte, souffle, balaie et passe la serpillière a rangé ses objets hygiéniques et essuie maintenant les objets liturgiques, tandis que celle qui recommence timidement à sourire propose de disposer les fleurs, cueillies le matin même dans son jardin, dans les vases fraîchement nettoyés. Fourrure râpée et collier de perles se tord brièvement les mains puis se précipite sur les fleurs car elle maîtrise de longue date l’art floral et sacré. Les deux se regardent un bref moment sous l’œil paternellement amusé de voix douce et expérimentée. On entend tinter le calice et la patène, le ciboire et les burettes, l’encensoir et la navette, celle qui frotte, souffle, balaie et passe la serpillière, astique et sue de bon cœur sous l’œil irrité de voix douce et expérimenté qui voudrait bien finir d’organiser. Bientôt les bouquets sont disposés par la main experte de fourrure râpée et collier de perles, tandis que celle qui sourit tout le temps exprime son admiration, tout en tapant du pied. On organise, on nettoie, on ne s’arrête pas une minute dans la maison de ce Dieu. Demain, celle qui frotte, souffle, balaie, passe la serpillière, sue et astique, chantera faux et fort au dernier rang.

Livre comptable :

– 75 % habitent une rue qui porte le nom d’un écrivain / 25 % la rue Beauséjour.

– 50% rentrent chez elles en voiture / 25 % rentre chez elle à vélo / 25% est déjà chez lui.

– 25% prie en faisant la vaisselle / 25% par obligation professionnelle / 50 % le dimanche devant témoins.

– 25% croit en Adam et Eve et se sent exclue du paradis terrestre à cause de ses péchés / 25% voit dans Adam et Eve une parabole qui éclaire les temps modernes / 50 % n’ont pas d’avis tranché sur la question.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).