codicille : Je dépose ce texte qui se présente à part, pour passer au suivant. Pas certain de son devenir...
Comme je l’ai dit, son visage est parcouru de traits juvéniles, un visage ouvert d’une belle candeur qui obombre la finesse de son cou, ses bras enveloppés d’une peau claire, elle doit avoir quatorze ans. Elle porte des baskets roses, avec une robe blanche de tennis à bretelles.
En réalité, je vais avoir quatorze ans dans moins de trois semaines.
Elle pourrait s’amouracher de garçons, jouer à tomber amoureuse et sortir, sortir librement avec eux. Cependant à la simple évocation des relations et de l’intimité, elle éprouve un mal à l’aise. L’effusion des corps n’a jamais été au cœur de ses pensées. Et pourtant sa curiosité a été piquée au point de l’effrayer, de manifester une panique en traversant le bois, entrapercevoir ces corps qui se brusquaient et déchiraient des cris, des mots bafoués qui lui enserrent encore la gorge, à courir à toutes jambes sans réfléchir cherchant la lumière des sanglots étouffés au silence. Depuis, elle ne sort pas avec, ne s’entoure pas des garçons. Est-ce qu’elle a essayé, oui, avec l’ appréhension obscure que tout ne dérape.
C’était à mourir de rire, ces exhibitionnistes dans les bois qui surjouaient péniblement devant leur caméra Hi8. En fait oui, je sors avec des garçons, mais je ne le fais qu’avec des copains. Et avec des copains on n’a pas de relations intimes et de toute façon ça ne m’intéresse pas, les détails assez crus des copines qui en parlent sans arrêt des garçons, qui disent ce qu’en dise leur mère des garçons, et comment s’embrasser, et comment s’en débarrasser des trop salaces des trop collants des pervers, des garçons. Moi mes camarades m’accompagnent en ville. On sirote une menthe à l’eau, on passe un moment en librairie et chez le disquaire, éventuellement on partage une séance de cinéma. Et à la première tentative de m’embrasser, on arrête de se voir.
Comme je l’ai dit, rien n’est plus central dans sa vie que ses parents. La longue stabilité en exemple du couple parental, quoi de plus étonnant de voir ses parents vivre encore ensemble, tous les deux avec elle. Son père a son regard, et comme elle dans ce regard le murmure d’une énigme cristalline. Son père est prof, bien trop farfelu pour les disciplines nobles, bien trop rêveur et fantaisiste pour les grands établissements. La personnalité de sa mère est moins fantasque. Sa mère a fini par quitter l’enseignement, en disponibilité de l’educnat, pour lancer sa carrière artistique d’expos, et débuter la restauration de tableaux. Est-ce qu’elle pourrait trahir ses parents, est-ce qu’elle pourrait décevoir ses parents alors qu’elle sait qu’en toutes circonstances ils sont là, sa mère dans son atelier à la maison, sa mère aux aguets prudente dans son rôle de mère. Elle peut compter sur eux. Le plus important après eux c’est sa liberté, être libre de faire ou de ne pas faire, libre d’aimer ou détester, se sentir libre, sentir la liberté l’emporter.
Mes parents chéris, mes parents adorés, mon petit papa, ma petite maman, vous qui me protégez, vous qui veillez à mon espace de liberté, toutes vos paroles réconfortantes, jamais une seule brimade.
Elle passe tout son temps libre auprès de ses copines. Tout son temps libre, elle le passerait aussi bien en séances de cinéma. Est-ce qu’elle s’entoure de copines. Non, les copines virevoltent autour. Elles s’enivrent du parfum de son élégance innée. Le monde tourne autour d’elle, il cherche à imiter son sourire séducteur, tout le monde tourne autour de son regard irrésistible, c’est comme une obsession d’être proche d’elle pour écouter sa voix, être sa copine pour saisir sa part, une part d’elle, un reflet dans ses yeux, une commissure de sa bouche, une délicatesse à son oreille, une moire de sa chevelure, une inclinaison de son corps élancé.
Je crois être assez quelconque par rapport à une actrice comme Robin Wright ou Jennifer Connelly. Et non je ne passe pas tout mon temps entre copains et copines. J’aime être assez souvent seule dans le calme de ma chambre, à lire, ou m’inventer des histoires. J’écris souvent pendant mes vacances des scénarios de petits films aux répliques loufoques piquées dans les films américains.
Comme je l’ai dit, une seule, une unique copine compte quand on cherche son alter ego, une seule amie brune avec des cheveux bouclés qui se distinguent de ses cheveux à elle blonds et raides. La plupart de ses copines qui ne comptent pas sont châtain foncé. Ce n’est pas l’amie exclusive, mais dans le périmètre étroit de la connivence elle est la seule avec qui le partage est possible. Et leur situation commune de fille de profs n’est sans doute pas étrangère à leur amitié. Elles ne veulent pas décevoir leurs parents, elles partagent de bonnes notes, on ne peut pas décevoir ses parents, les parents, ça compte. La mère brune est prof de maths
Il est arrivé qu’on passe un week-end ensemble à regarder des VHS. Et c’est comme si subitement j’avais une sœur avec qui je pouvais me tordre de rire sans pitié sur les commérages des profs. Je nous revois nous égosiller sur ma platine. Et pousser les vélos jusqu’à la bourgade voisine pour échanger disques et cassettes avec d’autres copines. On a passé plusieurs fois des vacances ensemble. Elle est étonnante, pour les maths elle a un don. Sans elle, je n’aurais pas les résultats que j’ai en mathématiques. Quand on parle d’un problème ou d’une équation, elle a instantanément la réponse.
À la sortie des cours le mercredi, l’Alpha Roméo mal garée sur l’arrêt de bus c’est son père. Direction le centre-ville, jour de sorties des nouveaux films à l’affiche des cinémas, et après le film, toujours dans le même troquet, ils discutent devant un verre. Elle voit un film par semaine, parfois deux, mais jamais pendant les vacances. Dans sa chambre il y a une pile de Cahiers du cinéma, deux affiches de films « Le Cercle des Poètes disparus » et « Princess Bride ».
Mes parents me donnent chacun de l’argent de poche, en tout presque mille francs par mois. J’ai tout le loisir de sortir, de faire les boutiques, d’acheter des bouquins. Les séances de cinéma, souvent c’est avec mon père. Mon père est un vrai cinéphile, j’adore ses commentaires. Il a une mémoire phénoménale pour les acteurs, les réalisateurs, les chefs opérateurs. L’abonnement aux Cahiers du cinéma c’est lui. Et il y a bien plus que deux affiches dans ma chambre. J’aurais tellement aimé être à l’affiche de Princess bride. J’ai noté la réplique pour un prochain scénario : « Buenos dias, yé m’appelle Inigo Montoya. Tou as toué mon père ! Prépare-toua à mourir ». Et les vacances on les passe souvent dans la maison familiale paternelle, perdue en pleine cambrousse où quelquefois, plus souvent l’été, j’invite à me rejoindre deux copines. On tourne des films.
comment être certain du devenir des mots ?…
laisser s’accumuler, laisser couler et prendre forme, voir ce que ça devient…
quoi qu’il en soit, tout à fait réussi ce dialogue intérieur/ extérieur autour de ce personnage de fille qui « aurait tellement aimé être à l’affiche de Princess bride » !
Merci pour ton précieux retour Françoise. On se laisse facilement envahir par le doute… Je vais laisser vivre ce début…
J’aime bien. C’est long, mais je me suis trouvée bien dans ce personnage réussi et nourri. Je n’ai pas pensé du tout à la longueur du texte. L’alternance du elle et du je est un plus. Je souhaite que cette héroïne trouve un jour sa place. Merci, Michael. Je passe à ton texte suivant. Contente d’être remontée bien en amont.