1. Dans la nuit de samedi à dimanche, un ballon gonflé à l’hélium s’est échappé des mains d’un enfant. Il parcourt la nuit.
2. Dans la nuit de samedi à dimanche, on sait que les canapés ne sont jamais assez confortables devant le divertissement à la télé et que les mobylettes qui vont au bal sont des guêpes qui traversent la nuit.
3. Dans la nuit de samedi à dimanche, on sait que tu as quitté la salle des fêtes et que tu as fumé une cigarette devant le champ de blé. Tu penses à la fille qui danse encore à l’intérieur et souhaite qu’elle te rejoigne. On sait qu’elle n’en fera rien. Où étais-tu passé, dira-t-elle.
4. Dans la nuit de samedi à dimanche, on sait que les grandes aspirations de la nuit se ratatineront le lendemain à coup de petits fours, de trop d’alcool, de discussions ritualisées, de téléfilms insipides et de balades digestives.
5. Dans la nuit de samedi à dimanche, on sait que tu penses à ce qui s’effrite dans les hameaux désertés, aux vieux fours gueules ouvertes et aux ronces sous la neige.
6. Dans la nuit de samedi à dimanche, on sait que vous êtes entrés dans la bergerie, que vous y avez fait l’amour et que des rats couraient sous la paille. Lorsque l’homme s’est endormi, tu te lèves, tu pousses la porte et sors dans le pré. Là tu te tiens droite et immobile. Un renard est sorti des fourrés. Il tourne sa tête vers toi. Vous vous regardez un moment avant qu’il ne reprenne son chemin.
7. Dans la nuit de samedi à dimanche, on sait que tu étais pleine de larmes, mais, habituée à les retenir, tu n’as rien dit. Ta mère te tournait le dos. On sait qu’elle était parfaitement consciente des larmes que tu refoulais et qu’elle récurait sa fonte avec beaucoup trop d’ardeur. Tu n’as rien dit, elle t’aurait giflée avec beaucoup trop d’ardeur. Tu as poussé la porte de la chambre et posé le pied sur le gros plancher en évitant les deux premières lattes dont tu n’as jamais aimé le grincement. Viens donc dans ton creux gamine, disait la vieille. Elle ouvrait le lit de ton côté, puis te saisissait les mains pour une prière mécanique et vite expédiée. Tu soufflais alors la chandelle et la pièce devenait sourde aux bruits du monde. On sait que tu as regardé longuement ce lit et pensé aux deux creux qui s’étaient formés sous vos deux corps endormis. Tu penses alors à l’hiver dernier où vous aviez cardé la laine du matelas. Les creux s’étaient reformés en quelques mois. Le corps de la vieille, qui pesait de moins en moins, avait quand même eu l’obstination de peser de son poids de vie sur le matelas. Puis elle était morte, comme on aime que les gens meurent par ici, de leur belle mort, comme on dit. Tu ne t’étais rendu compte de rien. Au matin, le corps de la vieille était froid et on ne sait pas ce que tu as fait exactement, ni quelles étaient tes pensées alors. On sait seulement que tu as ouvert la porte et que ta mère a compris. Maintenant, tu vas passer ta première nuit, seule, dans ce lit et tu t’apprêtes à faire une prière qui, semble-t-il, t’accompagnera le reste de ta vie.
Oh c’est magnifique. Le début est obsédant comme le refrain d’une chanson. On voyage… waouw j’adore.
Merci Sybille pour ce message qui fait du bien 🙂 Refrain de chanson… du coup je relis ce texte autrement !
On voudrait que cela soit plus long, il y a une forme de sécheresse (j’y reviens!) qui fait sonner le texte, une forme de scansion qui parfois est interrompue par des phrases plus longues mais qui ne basculent pas dans le lyrisme, un regard tendu et ouvert qui tient et contient. J’ai beaucoup aimé.
Mais une forme de lyrisme, comme j’aimerais ça finalement, et que ça sonne juste. Trouver une forme de générosité plus ample et sans forcément d’ironie derrière (celle de mon #4 par exemple). Bon, pour l’instant, je rature ce qui va dans ce sens, je contiens. Surtout parce que ça n’apporte rien à ce type d’écrit très ramassé, mais aussi parce que je manque du souffle nécessaire. A ce propos, j’ai trouvé cette générosité et cette ampleur qui sonne juste dans votre texte sur le caillou blanc (https://www.tierslivre.net/ateliers/40jours-18-rentrer-chez-soi-le-caillou-blanc/). J’aime beaucoup ce texte.
peut-être que j’utilise mal le terme de lyrisme, j’ai l’impression qu’il y a des écritures à la clarté sourde, tamisée qui rayonnent longtemps, un côté braise, et des écritures flammes qui s’emportent d’un coup, ce sont deux qualités différentes. J’aime pour ma part l’idée d’un noyau contenu qui laisse une tension, un inachevé et vient densifier le propos mais sans langage, uniquement avec cette tension. Je suis très sensible par exemple à l’esthétique décrite dans Louange de l’Ombre de Tanizaki, des clartés jamais franches, des matières toujours usées. Je suis sensible aussi de la même façon à l’écriture des traces, mais c’est encore toute autre chose, qui rayonnent autour de l’absent, on a ça souvent chez Conrad et bien sûr chez Sebald. Il est très juste, très équilibré votre texte, il s’arrête juste à temps, comme un verre à ras bord, il ouvre ainsi une série d’univers à ras bord. C’est ainsi aussi que l’on met le corps du lecteur en mouvement. Merci pour le petit caillou blanc, je cherche cette sécheresse mais je suis aussi coincée par différents écueils : éviter la niaiserie d’une part et essayer de raconter quelque chose avec une forme plate qui se prête davantage à la description de la succession de paysages derrière la vitre d’un train qu’à une véritable narration. Comment dans ce cas éviter ou l’ennui du lecteur ou les mélancolies faciles ? Je n’ai pas trouvé la forme et l’impulsion à ce jour et pourtant je suis l’atelier depuis déjà quelque temps.
Je n’ai pas lu tous vos textes. Certains, et c’est bien normal dans le cadre d’un atelier d’écriture, tendent vers l’exercice. Mais d’autres sont déjà au-delà de l’impulsion. Je veux dire, l’impulsion y est déjà, selon moi, et s’incarne déjà dans une forme qui n’est pas une posture, pas un exercice, ni même une forme plate (à la lecture du caillou blanc, c’est à Brautigan que je pense, mais je serais incapable de vous dire pourquoi). Une forme contenue, de l’ordre de la braise oui, ça vous y êtes déjà souvent je pense. Vos écrits sont accueillants, sans pour autant rien imposer au lecteur. Quant à la niaiserie, à l’ennui et aux mélancolies faciles, j’ai bien envie de me le permettre aussi, sinon comment savoir ?
Ce que vous écrivez sur les écritures flamme ou braise, l’écriture des traces, et les références que vous convoquez, me touche beaucoup.
Merci beaucoup, c’est encourageant.
et merci pour Brautigan que je découvre en me marrant… Baudelaire was sitting in a doorway with a wino on San Francisco’ skid row. The wino was a million years old and could remember dinosaurs. Baudelaire and the wino were drinking Petri Muscatel. « One must always be drunk » said Baudelaire. « I live in the americain hotel » said the wino. « And I can remember dinosaurs ». « Be you drunken ceaselessly » said Baudelaire.