Soda, crachats, chewing-gum, le trottoir colle, et ça commence sur le pont, sur le fleuve nommé Têt, en vrai pas même un ruisseau, et ça collera jusqu’à la maison de la vieille, au numéro 13 de la rue Beauséjour, perpendiculaire à la rue Beausoleil, parallèle à la rue du Printemps. Ce qu’il faut retenir du pont, c’est l’odeur forte d’égout que charrie l’à peine rivière à sec dans les caillasses et les rats qui finissent toujours par apparaître dans la fillasse. Mais ce n’est pas tout, car, du pont, on voit, au loin, une montagne, dont on lui a dit qu’elle a le nom d’un aliment pour chien, attention, c’est une belle chose cette montagne, mais ça ne va pas avec son nom d’aliment pour chien, ça la dévalorise en somme. On y pense en tout cas, lorsqu’on est sur le pont. On fait tant bien que mal aller nos semelles sur le collant du trottoir. On revient du centre-ville, où Galerie Lafayette, où cinéma, où disquaire, où fringues, et la ville, à force, elle lui a bien un peu appris à marcher sans but, mais quand même, dépenser des sous c’était bien l’objectif, le reste venait malgré lui. Rentrer, coller, décoller les semelles, tendu tout entier vers la rue Beauséjour où la télé, où le gâteau au yaourt, où les premiers apéros, parce qu’à 17 ans, ça peut pas faire de mal. L’air est épais déjà, c’est le printemps, on se souvient de ça et de l’odeur d’agrume qui fait comme un parfum d’ambiance pour masquer ce qui macère. On était léger, c’est le souvenir qui plombe tout, c’est le souvenir qui imagine de la charogne sous les citronniers, on se sentait libre, bien que tout tendu vers le 13 de la rue Beauséjour. Quelques pas, premier sex shop, il faut monter des marches qu’on n’a jamais eu le courage de monter bien sûr, imaginer ce que cache le rideau rouge, mais jamais s’arrêter vraiment, ralentir le pas un peu. On est bientôt arrivé, le ciné porno, on ne passe pas devant, il faudrait faire un détour, on pourrait, mais non, on tourne avant, rue Paul Fort, perpendiculaire à la rue des Goncourt, parallèle à la rue de Maupassant, perpendiculaire à la rue Beauséjour. Rue Paul Fort on y trouve encore des vaches, jamais bien compris comment, mais l’étable existe encore, on les entend, ça paraît difficile à croire. On ne manque jamais de jeter un œil sur une poulie rouillée qui est là pour rien. Mais pourquoi faut-il s’attacher à ce genre de chose. La poulie scellée dans un mur de brique rouge. On s’en fout, tout le monde s’en fout. On n’en fera pas un roman. Mais comme on aimerait la revoir cette poulie qui s’écaille. Puis on tourne à droite, dans la rue Beauséjour. Le trottoir est souvent mouillé, pourquoi, on ne se souvient plus, mais l’effet est immédiat, on se sent bien, c’est tranquille la rue pavillonnaire, même si on a eu connaissance des petites mesquineries du voisinage, de ceux qui trafiquent, des gitans on dit, de la mère Sollies qu’il faudrait interner, les voitures qu’il ne faut pas garer devant chez les autres. On sort la grosse clef qui ouvre le portillon, bien sûr elle grippe dans la serrure, pas besoin de sonner, ç’est comme ça qu’on s’annonce. La maison est un cube blanc, protéger de la rue par une haie de rosiers. Au fond du jardin, le garage, étuve moteur, mais on va y piquer des tic tac à la menthe, toujours rangés dans la boîte à gants. L’été on arrose le béton devant la maison pour donner de la fraîcheur, et parfois ça commence dès le mois de juin, on utilise une raclette pour ça. Devant la dalle en béton, des cailloux blancs, on a gardé un citronnier, mais pas le cerisier qui a attrapé une maladie, on l’a coupé, les citrons, par contre, on en ramasse beaucoup. On entre en montant deux petites marches, dans le couloir on entend la pendule qui sonne Big Ben toutes les heures, elle vient des Deux-Sèvres, on nous l’a dit, il faut des jours pour s’habituer à la pendule, surtout la nuit. La vieille est assise à la table de la cuisine. Par habitude, elle a allumé la petite télé au-dessus du frigo. Elle a sa dépression. Si elle ne l’a pas encore, elle ne va tarder à l’avoir, c’est cyclique. Le souvenir assombrit tout, déforme tout, car elle allait bien la vieille, en fait, ce printemps-là, et jamais on ne l’aurait appelée la vieille d’ailleurs, mais on sentait qu’il se passait quelque chose, et ce qu’on a fait c’est de retourner au salon et d’allumer la télévision. La corbeille de faux fruits en plastique prend la poussière dessous.
idem, ça passe bien, cette histoire d’aliment pour chien est tordue mais m’a fait sourire, et l’image curieuse de la fin va bien, ça commence à prendre la poussière même par en-dessous. Il y a un goût aussi de la vitesse je trouve et là je poserai la question : tu as lu Savitskaia ? Je suggère Au pays des poules aux oeufs d’or, tu y trouveras un même vertige de la musique et de la vitesse, même si le lexique est plus foisonnant.
Merci pour le conseil de lecture Marion, c’est toujours bien venu ! De Savitskaia, je n’ai rien lu, je vais m’y pencher.