Elle a conduit tout du long de la route, d’une traite. Le paysage défilait comme au cinéma, ambiance fictive, tons acidulés, ne manquait que la voiture décapotable. Ce n’était pas faux, une vie hors saison. Parfois de longues lignes droites, monotones, bordées par des forêts de pins maritimes, majestueux, les tapis de fougères, parfois des paysages vallonnés, des horizons à perte de vue et, à la croisée d’un chemin ou à la sortie d’un tronçon d’autoroute, des parcelles de maïs, de colza, de blé, plus loin, près du fleuve, des arbres fruitiers diffusaient autour d’eux une odeur sucrée de pêche mure. Ce n’est que lorsqu’elle s’est arrêtée sur le bas-côté de la route départementale, lorsqu’elle s’est emparée de la pêche à la peau veloutée et qu’elle a fermé fort ses yeux pour saisir encore une fois ce goût parfumé du fruit arrivé à maturité, qu’elle a cru triompher de ses souvenirs. Mais elle aura beau sonder sa mémoire, ce goût indéfinissable de la chair juteuse qu’elle croit encore discerner lui échappe, ne semble plus exister ni dans le passé ni dans le temps présent. Quand revient l’apaisement intérieur, elle écoute le silence, ne sait plus définir ce qui se passe, ressent le vide, quelque chose gronde au loin alors que la trace du souvenir ne s’est pas encore dissipée. Ici, le jour n’en finit pas. Alors elle marche dans la clarté vers la limite de l’horizon. Son pas est souple. Sous la semelle de ses chaussures, ça craque, ça crie, un oiseau passe, brise les bordures de sa pause mentale. Elle marche, effleure les jours heureux de son enfance, les appelle, ils résonnent en elle alors qu’il n’y a rien de raisonnable à attendre. Elle marche, s’offre le plaisir furtif d’arriver sur le lieu vers lequel elle tend depuis son départ, replonge dans le passé, imprime le présent, projette le futur, tente avec maladresse de relier les trois. Et puis, contourner la propriété par le coude que la route dessine, aborder avec crainte ce qui reste de ce que fut la terre familiale, celle qui l’a accueillie au tout début. Elle offre à présent un spectacle désolant, arbres coupés, jardin déstructuré, parcelles abandonnées, divisées, réattribuées. La haie a été débitée, ne reste que le portail en bois blanc d’origine, ferronnerie noire, entre deux piliers en pierre. Un non-sens.
Je ne sais pas ce qui se passe. Dans mes yeux se brouillent deux époques et je ne sais pas comment les relier. Je ressens un vertige le temps de quelques secondes. Suis tétanisée. Je m’en veux de remuer les années écoulées faites d’autre chose, celles de l’oubli imposé. Des années passées à tenter de comprendre, à revenir parfois sur les lieux, à désirer poursuivre l’histoire. La perte de cette terre, c’est devenu mes moments d’espoir intérieur, ma bataille intime. Je voudrais qu’un cri sorte de ma bouche, arrache le voile persistant sur cette demeure. Je n’y arrive pas.
Nerveuse, elle décide de contourner l’un des piliers sans glisser dans le fossé, entre sur la propriété avec ce pressentiment qu’il n’y a personne, peut-être des âmes esseulées, et qu’elle est à l’abandon. Sensation de transgresser un interdit. Pourtant, elle avance droit devant elle jusqu’à la porte.
Saisissant.
touchée !
importance du deuxième paragraphe qui raconte en-dessous et donne le relief aux deux autres
et on te suit jusqu’à la porte,et « on désire poursuivre l’histoire… »
expérience, expérience… oui, c’est ça, raconter en-dessous
on touche du bout du doigt, du bord du cœur, ce qui pique et brûle… comme une douleur qui ferait du bien, mais à peine… courage pour écrire la suite, Dominique !