Jamais de plants de vigne ne s’étaient aventurés aussi loin sur ce versant du coteau. Je découvre ces pousses protégées par un travail méticuleux, isolées d’une gaine de protection en tissu noir, un piquet de bois rigide. De la terre si peu, n’affleurent que des pierres blanches de différentes tailles, fossiles, calcaire fendu, tout un berceau rugueux. Les vignes d’ugni blanc, on les gardait près du village, près de la croix blanche, trois rangs, quatre pour étancher la soif. Partout les champs de maïs qui cachaient les promeneurs invisibles ont disparu. À partir de la croix deux routes droites à angles carrés rapprochent deux hameaux de bâtisses de presque manoirs qui éclipsent d’anciennes fermes qui se prolongent en granges imposantes, quelques édifices solitaires sans vocation et des ruines de toits à cochon. Quelques venelles sinuent entre les murs fatigués d’enceinte très haute parée de portails lourds dont les arabesques décoratives au sommet pointent vers les houppiers aplanis de pins séculaires. Je distingue un peu avant le panneau du village l’imposante façade de la maison de maître. À droite, une bâtisse étendue avec sa grange attenante ne se dévoile que partiellement dissimulée par un imposant hangar d’acier nu qui déborde de sa tôle le délicat verger qui l’avoisine. En s’approchant, le muret autour laisse entrevoir toute une cour intérieure de gravillons blancs, un socle de puits, deux parcelles de potagers, des parterres de fleurs qui débordent, la tête ronde d’un tilleul. Je pousse le portillon. Je savais que toute une communauté avait vécu ici; dans l’étable des chèvres, sous le hangar, poules, canards, lapins et à côté un cochon. Je les avais nourris, caressés, écoutés, imités, pleurés. Aujourd’hui seul le vent chahute l’air. J’entre. Sous l’escalier en bois dans le hall où les bouteilles en fer sont recouvertes d’un chiffon doux de couleur jaune qui sent l’encaustique, par terre des chaussures, au fond suspendues à des crochets, les blouses, les gilets et entre, il y a un parapluie en tissu noir. Elle le prendra pour résister un peu. Si elle n’y prend pas garde, la pente imperceptible qui modèle tout le village l’attirera vers cet endroit que tous les anciens redoutent et malgré tout les apaisent en bas, tout en bas. Avec son parapluie pour canne, un fichu sur la tête, elle dira du bout des lèvres faiblement mais distinctement audible quand j’aurai fait mon temps, j’irai de l’autre côté, j’irai en bas.
Beau. Depuis les plants de vigne qui s’aventurent comme donner le ton jusqu’au tout en bas avec le parapluie noir et celle qui le tient tout à coup apparue. Si beau.
Sincèrement touché par ton commentaire. Merci Anne.
tant de précisions pour nous amener vers ce parapluie noir, et la femme qui le prend pour canne. Très réussi