Plus tard, elle s’est aperçue que c’était un bel immeuble. Sans doute alors était-il encore noirci de la suie que les ravalements systématiques des années 60 n’avaient pas encore atteinte. Des briques et une porte cochère peut-être Art Déco – fer forgé encadré de pierre dorée – signature sophistiquée de l’architecte gravée en fronton, ornements floraux sculptés au dessus et de chaque côté. On y arrivait par une petite rue calme, pas vraiment de vis à vis : l’immeuble à l’opposé était bas, permettant d’apercevoir au dessus – si on prenait un peu de distance en s’arrêtant sur le trottoir d’en face – la cime de quelques grands arbres. Sans doute un demi siècle plus tard, les commerces installés là ont-ils disparu ; une crémerie à l’ancienne, un ‘bougnat’ et son hangar empli de charbon, bois, et autres combustibles, un cordonnier. Elle y entrait toujours par la même extrémité, chemin de retour de tout, école, station de métro ou de bus, habitations des amies et copines, marché, boutiques de bouche (Au cochon sans souci, Au tablier rouge) ou d’habillement (chausseur André)…. il devait y avoir une légère pente montante, car en levant les yeux, elle voyait le clocher de la chapelle d’un couvent proche pourtant discret. Le plus souvent, elle comptait les pas entre le coin de la rue et l’entrée de l’immeuble, nombre qui allait diminuant avec l’allongement de la taille des jambes. Et puis, cela dépendait du rythme : en marchant, en sautant (avec ou sans corde à sauter), en courant, chargée ou non, en robe courte, en pantalon, en premiers talons plus hauts ou en chaussures de sport. Mais de toute façon, elle comptait, l’attention accaparée par les chiffres qui défilaient et non plus sur l’angoisse de ce qui l’attendait en haut des six étages. Il fallait bien entrer, il fallait bien rentrer.
Beau cheminement. Ce que vous faites avec compter, j’aime beaucoup et aussi la fin. Merci