Ce que le voisin qui se gave de musique celtique, voudrait se rappeler c’est ce qu’il y a derrière la maison d’où vient cette musique. Il y est allé souvent il y a si longtemps, une autre vie il se dit et pourtant non, la sienne, la même, tu n’étais pas le même, avais tu quelque chose à voir avec toi ? Bien sûr que tu ne te souviens pas, bien sûr, ce n’était pas toi, comment pourrais-tu te penser alors que tu étais si différent, il faudrait sauter au dessus des solutions de continuité et ça tu ne sais pas faire, programmé pour te rappeler en série, pas en parallèle. Pas grand, il grimpait sur un tabouret et regardait par le vasistas, haut perché, un terrain plus ou moins vague, au loin des champs de blé de riz la mer ça se mélange et ça lui plait d’imaginer différentes étapes de sa vie en simultané comme si la pellicule n’avait pas tourné dans l’appareil à soufflet du père, perspective immobile comme si ces paysages-souvenirs étaient fixés sur des plaques de verre superposées légèrement décalées dans l’espace et le temps. Et il se demande s’il a été dans chacune de ces plaques et si, en ce moment précis du souvenir, il est dans toutes à la fois, il aime tant se sentir en relief, pluriel, sans précise identité. Derrière lui, il laissait parfois la porte ouverte et alors, il voyait plus loin la porte vitrée qui donnait sur la grande pièce aux beaux carreaux qui brillaient sous les rayons de soleil qui réussissaient à se faufiler à travers les persiennes vertes et les vitraux représentant des scènes champêtres si différentes de ce qu’il rencontrait quand il sortait dans ce qu’ils appelaient la rue. Elle s’y cachait parfois à l’abri du rien, du vide de l’extérieur, elle trouvait près de sa travailleuse et du teppaz le peu de consistance qui restait à sa vie, à l’abri de la foule compacte des autobus, du marché sous les arcades, des taxis brousse, fantômes étrangers. Plus loin, le couloir devenait escalier, le palier à l’étage servait de chambre où se croisaient médiocres aventures et racontars et qui n’était lieu de repos qu’à la nuit tombée. Ils se couchaient de bonne heure, il y avait peu à faire et les autocars qui, le matin, les transportaient au travail ou à l’école passaient tôt. Les deux chambres dont les portes ouvraient sur ce palier étaient plus reposantes, regardant vers l’est elles échappaient à la chaleur torride et aveuglante des fins d’après midi. Il aimait à regarder par ces fenêtres plus accessibles à sa petite taille, de ce côté monter sur le lit suffisait, il voyait de haut un terrain dénudé, latérite rouge qui guidait ses yeux jusqu’à la route sur laquelle marchaient le soir des femmes en pagne blanc, parfois une cérémonie de retournement ou un troupeau de bœufs à bosse, un monde autre se mouvait là, juste là, si loin. Les fins d’après midi, l’odeur de la terre rouge surchauffée mouillée par la pluie entrait par ces fenêtres entrouvertes. Ce premier étage sans charme et sombre se bornait là, redescendre était nécessité, on voyait alors que l’escalier était de béton, carrelages au charme années 50, ils avaient dû plaire à un bâtisseur d’après guerre, certain de rester ici jusqu’à la fin des temps, ils rejoignaient, en bas, les beaux carreaux du salon au vitrail, peu de meubles, ceux des locataires précédents, un vaisselier, deux fauteuils, la travailleuse et sur la table du teppaz rolling stones, sega réunionnais, claude françois. Ils n’étaient là que pour peu, entre la guerre d’Algérie et une autre plus sournoise qu’ils ne pouvaient imaginer, celle pour la survie, ils allaient repartir, ils vivaient dans l’attente de la fin, ils vivaient le corps ici, la tête ailleurs, vivre si loin, tenter le bonheur dans un lieu si étroit.
mystérieux et envoutant
Merci Danièle. Mais que c’est dur, que ça prend du temps !
Ces plaques de verres superposées dans l’espace et le temps, c’en est tout un programme. Il doit y avoir des solutions de discontinuité permettant d’y naviguer
Ah oui ! A fouiller. Merci pour l’idée, Christophe.