Le bus 68 en direction de Schoenherr & 8-Mile dépose à l’angle de Chalmers et Vernor, à la vingt-sixième minute de chaque heure. La route est droite, plate, bordée de buissons libérés de la taille là où les maisons sont abandonnées. Au milieu de la chaussée parcourue de nervures de goudron noir, une double bande jaune, infranchissable. Le trottoir est une étroite ligne de plaques disjointes. À quelques mètres de l’arrêt, un panneau Speed Limit 30 et trois poubelles en métal s’offrant aux errants. Silence du matin sur l’artère sans fin. Au milieu du carrefour, le vent secoue la grappe de feux rouges maintenus en l’air par des fils électriques. Pas un véhicule à l’horizon. Vernor Hwy. Des rectangles d’herbe verte ont recouvert les fondations des maisons disparues. Aux poteaux télégraphiques pendent des câbles sectionnés. 14300 Vernor Hwy, voici une survivante de briques rouges haute de deux étages. Fixées sur son toit claquent des bâches délavées par la pluie. Backyard et Frontyard sont envahis par le sureau en fleur. Un van Chrysler est garé dans l’allée — ses pneus sont crevés. Angle Vernor et Lakewood. Un pick-up Toyota rouge, un labrador endormi sur le front porch, un panier de basket sans filet, le lierre sur la façade, les fenêtres du rez-de-chaussée condamnées par des planches en croix. Un panneau Neighborhood Watch, une bouche d’incendie couleur rouille. Un One Way indiquant le bon sens pour emprunter Lakewood. Là où se trouvait le 2520, un grillage rectangulaire encadre la piscine gonflable des habitants du 2518. Le 2516 est un érable de dix ans. 2514. La maison n’est plus là — l’adresse même a disparu du terrain. Un simple carré d’herbe rase et ce marronnier à l’ombre duquel somnole les chats du quartier. Elle est là, adossée à l’arbre, ombre dans l’ombre, au milieu de ses compagnons de silence, transparente.
Ombre dans l’ombre… et toute la ville disparue avec elle …
La magie des lieux désertés opère, merci
oui