Depuis la chambre à usage de bureau, accéder à d’autres espaces déserts ou habités, le frottement des pas contre le sol — sol déjà décrit, plancher se laissant volontiers ranimer au gré des déplacements, ce qui me donne l’idée de commencer à répertorier les zones de grincements couinements et autres bruits émis par le bois, un genre de cartographie —, les trappes d’accès aux zones supérieures, soupentes et greniers nichés sous les ardoises moussues, les portes à ouvrir, les poignées en porcelaine mal ajustées remuant dans leur gaine, les fenêtres découpées dans les pierres du mur de l’autre côté invitant à l’approche et à la découverte des jardins bordés de haies propices à la nidation des passereaux, l’escalier à deux rampes — grimaçantes elles aussi — guidant vers le petit salon du bas immobile, divan rose lilas, grand placard, poêle à bois, et puis l’enfilade des pièces sur la droite conduisant à la cuisine. Cuisine, centre de la maison et même du domaine. Peu de lumière. Une silhouette de dos installée à la table. Je me demande ce qu’elle fait là, si elle est réelle, de quoi est fait ce gilet qui couvre les épaules voûtées, matière laineuse on dirait, elle épluche des légumes ou alors raccommode, lit un livre, fait une prière, on dirait un tableau, je suis encore loin d’elle, ne vois rien du visage penché vers les mains, un peu peur quand même et dans l’intense de la surprise, a priori personne d’autre que moi n’habite cette maison, alors rien qu’une ombre, une impression, un caprice de mon imagination, un soupçon absurde qui me fait reculer vers le salon, je voudrais murmurer mon dieu c’est vous ? mais diable d’où sortez-vous ?, le temps de me frotter les yeux et ça a remué dans la cuisine, un froissement de souris, tout de suite après il me semble entendre le battant de la porte du fond, le temps que je me précipite, plus rien qu’un léger décalage de la chaise, des griffures sur la table, quelques miettes, une odeur de feu et de graisse cuite.
Photographie, ©Françoise Renaud, nature morte, juin 2023
Mmmmh, la douceur des images d’antan revenues pour nous dire de continuer, habiter les lieux et garder cette présence qui manque …
Merci Françoise
tu es la toute première à me rejoindre autour de cette apparition… tout vient sans s’en préoccuper
et ton élan doux m’indique la marche à suivre
merci Gwenn
Cette présence de celles et ceux qui nous manquent… Tellement jolie et douce comme ce semblant de peur qu’on éprouve… doucement une odeur de lilas
je ne sais pas encore qui elle est mais elle est pareille à tous ceux qui nous manquent
comme tu as raison, cher Piero
merci pour ta délicatesse
Belle continuité…au moment où la silhouette apparaît, on ne peut pas s’empêcher de la reconnaitre instantanément… Merci Françoise
Mais comme j’aimerais savoir qui c’est…
Tu pourrais me le murmurer ?…
merci de ton passage
Tous ces bruits, « grincements couinements et autres », on sent qu’ils sont pris dans l’image mais qu’ils sont indociles, et comme l’image elle-même en fait, une apparition, rebelle (et belle)
indociles, c’est l’adjectif qu’il fallait
merci pour ce si beau commentaire qui m’ouvre aussi des possibles…
à vous lire chère C.
Le passé nous habite ou nous habitons le passé, peu importe, il est présent au quotidien et nous accompagne, nous construit. Merci Françoise pour nous livrer avec une telle délicatesse ce temps d’écoute et nous confier l’absence comme une présence immortelle
Comme tu as raison, bien des personnages nous habitent sans que nous le sachions encore ou les ayons reconnus…
on va voir de quelle chair ils sont faits et comment ils nous construisent
Contente de te lire ici, Dominique
« de commencer à répertorier les zones de grincements couinements et autres bruits émis par le bois, un genre de cartographie —, »
Oh, que je l’aime cette maison qui couine et qui rameute des silhouettes « évaporées ». La photo est presque vintage.Elle est matière à réminiscences.
Oh Marie-Thérèse, il va falloir alors que je la chouchoute, cette maison, rien que pour toi et pour te conquérir !
Photo résonance, organisant un peu de matière ci et là…
merci de l’écho…
Un froissement de souris pour une image volatile qui persiste en s’effaçant. Merci
Si le personnage se faufile telle une souris, il va être difficile de la repérer dans l’immensité de la maison…
pourtant l’image est là, bien réelle
(merci Nat)
oui les maisons qui comptent ont de ces présences discrètes et impérieuses
c’est la maison qui risque de dicter le ton…
à suivre
je sais que vous êtes là…
Oui, on dirait un tableau, mais un tableau vivant qui s’anime par ce qui fait corps, faune et flore, objets, un tableau qui nous prend par la main, nous emporte dans ce qu’il a à dévoiler. Beau.
Celle qui nous manque ou que nous serons
un parcours singulier
des éléments à leur place dans une nature vivante
retrouver ta présence en cet atelier et du côté de celle(s) qui nous manque(nt), oui… dont nous portons les traces, le souffle, voire les gènes…
je vais rechercher les autres éléments qui sans doute sont à leur place…
merci H.
Cartographie des zones de grincement du bois, des pièces que l’on découvre, présence de la nature, des oiseaux et cette apparition… Comme on s’attache à cette maison que tu fais vivre sous nos yeux !
Désormais une vraie mission que de faire vivre longtemps cette maison inconnue, de la faire vibrer, révéler ?
(je n’ai pas lu La Maison des Feuilles, donc ne serai pas influencée)
Bonheur que ta compagnie, Muriel, et à te lire en retour dès que le jour se fera…
C’est pourtant bien connu : ne jamais se frotter les yeux pendant l’heure d’écriture !
Tout est là, prêt à nous saisir et à nous emporter vers un univers qui, j’en suis sûre, sera fascinant et imprévisible. Passé ou présent ? Peu importe. C’est l’importance du lieu et du personnage qui fait que le récit résonne en nous et nous entraine dans sa magie.
Tout a été dit je crois. Je parlerai donc de la photo et justement ce midi je pensais à la photo de ton jardin potager où tu avais planté une peinture de salade au milieu des salades, cette image que j’avais tant aimée, l’idée aussi de cette mise en scène… Et en revoilà une du même principe. Même émerveillement. Comme le personnage qui émerge et à peine effloré disparaît sans que nous en sachions plus. Avec la parole « Mon dieu, c’est vous ? » qui surgit sans guillemets. Merci, Françoise.