Les bibliothèques sont pour certains lecteurs particuliers des lieux étranges. Perdus dans ces grands espaces, ces visiteurs réduisent leur champ de vision, ils ne voient plus les volumes ni les surfaces, leurs yeux rétrécis cherchent parmi les trésors de papier alignés sur la tranche, le livre qu’ils espèrent, celui qui répondra à leur questions. Ici, les portes vitrées à ouverture automatique forment un sas, celui-ci ouvre sur le hall d’accueil, un carrelage brillant vous guide jusqu’au comptoir central ressemblant à un bateau échoué sur une mer de glace, son corps en bois vernis posé sur le miroir. A gauche c’est l’espace jeunesse, les livres parlent de petits canards noirs et de lutins. Malgré l’effort de classement et de rangement le désordre ici s’amuse. Les éléments décoratifs participent au décor joyeux. Quelques jouets traînent, prêt à faire sourire, une guirlande en papier coloré grimpe vers le rayon consacré aux animaux, les animaux de la ferme n’ont pas peur des lions, l’hippopotame aux grands yeux protégés par des cils de starlette regarde les poules rousses. Derrière le comptoir un grand escalier en bois clair s’élance, à travers les marches le sol de glace apparait, les rampes en acier noir nous rassurent. Sur le palier, le recoin des bandes dessinées, les couvertures colorées, les bulles pas encore évaporées, le silence ici n’est pas à sa place, on attend des rires, on s’inquiète de ce vide. Au même étage, tout près les romans, les histoires personnelles ou familiales, les voyants auscultent les âmes à travers les yeux et les coeurs, puis arrive les romans policiers, le noir des couvertures cache le noir des voyelles et des consonnes, la peur et les cris rodent entre les pages, mais le justicier gagne toujours, quittons les monstres et les méchants pour aller en voyage, les guides touristiques régionaux et internationaux nous emportent, les chiliennes multicolores attendent les rêveurs immobiles. Le rêve nous emporte aux rayons bricolage et travaux manuels, l’art du tricot ou du marteau, des blessures aux mains invisibles, les doigts se couvrent de poupées décoratives. Un petit rayon art et décoration, meublé d’une méridienne solitaire recouverte d’une plaid en velours vert sapin file vers les beaux-arts, les grandes œuvres en petites images espèrent des lecteurs admiratifs, sculpture, peinture, photo traînent pour nous amener à l’architecture qui longe les murs et s’élèvent sur plusieurs rayons, les photos de vieilles pierres se reflètent dans les plaques de verres cernées d’acier sombre et rouillé sur quelques tranches de livres, l’escalier monte toujours, la musique et le cinéma, les DVD et les CD disposés dans les rayons et classés par genre se poussent du coude, les affiches de concert et de films décorent l’espace, Juliette pianote et James Bond menace, Charlot danse et Mozart porte le masque de Zorro. Elle était là, statue de chair, assise par terre une pile de disques à ses pieds. Elle a relevé la tête, elle l’a deviné à travers les larmes, elle lui a souri, il n’y était pour rien. C’était leur première rencontre.
Une rencontre aubout des étagères. Cela valait le coup ! J’aimerais savoir ce qu’elle voulait écouter entre deux salves de larmes discrètes. La pile de disques comme alibi.