#été2023 #02 | L’envol

La corbeille de faux fruits en plastique prend la poussière sous la télévision. Fausses oranges, fausses bananes, faux citrons. Des enfants ont mordu dedans, y ont laissé de petites ridules blanches, la marque de leurs dents.

La porte-fenêtre est entrebâillée. La moquette d’un bleu passé est élimée à cet endroit. Elle fait de petits rouleaux sous les pieds. De l’eau s’est infiltrée dessous. Taches brunes. Le rideau de percale se soulève lentement et laisse entrevoir une petite cour bétonnée. Lourds les parfums du dehors où tout semble cuire comme dans un four. Confit d’agrumes, d’arums et de fonds de poubelles. Il est midi. Des oignons rissolent dans la cuisine à côté.

La table basse est encombrée. Un sac de tricot, des programmes télé, une pile de Veillées des chaumières. La télécommande est posée sur un napperon jauni.

L’aile de la colombe en plâtre, posée sur le bord du buffet, a été soigneusement recollée. Il faut s’approcher pour s’en apercevoir. Jusqu’à sa prochaine chute, l’oiseau est figé au moment où il prend son envol, ses petites pattes impatientes s’agrippent à une branche de cerisier en fleur. Certains bourgeons en plâtre sont éclos, d’autres non. La peinture commence à s’écailler. Plaisir d’offrir écrit sur étiquette or, c’est collé dessous si l’on prend la peine de soulever.

Le mur opposé à la porte-fenêtre est percé de briques de verre. On devine, derrière, le passage étroit où finissent de cuire des framboisiers. La lumière qui traverse les briques souligne l’imperfection du faux plafond qui gondole. On dirait du polystyrène sous la main. Des traces de doigts à plusieurs endroits. Le plafond est bas. Le salon est une ancienne remise transformée en salon. Il fallait un endroit pour les repas du dimanche et pour la télévision.  

On passe du salon à la cuisine en montant une marche carrelée assez haute. On entre par une porte quelconque qui accroche le carrelage lorsqu’on la pousse à fond. Sous un globe orangé, la vieille est assise à une table ovale. Une barquette blanche qui a dû contenir des blancs de poulet ou un filet de poisson lui sert à recueillir les pelures de pommes de terre qu’elle est en train d’éplucher. Elle a chaud. Des gouttes de sueur perlent sur ses joues parcheminées. Elle a chaud et pleure doucement.

A propos de Nicolas R.

Je vis au Mozambique. Prof doc de hasard (heureux) depuis quelques années. Facteur longtemps. Écrire. Pétrir. Pécrire ? Pécrire v. tr. (3e groupe) Étym. : De pétrir et écrire, formé sur le modèle de termes évoquant l’action de malaxer une matière pour lui donner forme. L’idée sous-jacente est celle d’une écriture travaillée, façonnée comme une pâte, qui fermente et prend du corps avec le temps. Prem. ut. : Attesté au XIIIe s., dans un fragment de poème attribué à Hugon de Belloc (?-1243) où il est écrit : « Pécrire n’est de valour se ce n’est de labeur, Bien vaut un mot frainé qu’un livre à l’erreur. Qui pécrit en silence et en main ferme, Il s’en suist au texte, que sa main étermine. » 1. Façonner un texte avec un geste physique, presque tactile, comme on pétrit une pâte. Pécrire implique de travailler les mots, de les modeler pour qu’ils prennent forme. – « Comme on retourne la terre, je pécris. Lorsque le sol se réchauffe et que les racines se déploient, les mots fermentent dans le noir et remontent à la surface comme les petites bulles d'air dans un levain » (Giono, Entretiens). 2. Retravailler sans fin un texte, le malaxer et le reformuler jusqu’à ce qu’il prenne une forme définitive, solide et concentrée, comme une pâte qui fermente pour libérer ses arômes et se structurer. – « Il pécrit, malaxant chaque phrase jusqu’à ce qu’elle prenne forme, comme une pâte laissée à fermenter, tissant ses réseaux de sens et de son, se concentrant sous la pression de son propre poids, jusqu’à ce que le texte devienne lui-même un acte complet, prêt à se déployer sous ses propres lois. » (Professeur Augustin Lavergne, Pour Flaubert, Université de Poitiers, 1869). 3.Écrire de manière viscérale, mais aussi contemplative, en laissant les souvenirs et les images du monde se distiller dans le texte, jusqu’à ce qu’ils deviennent presque indiscernables de la matière même de l’écriture. – « Pour pécrire, il faut avoir vécu, respiré le monde avec chaque pore de son corps, avoir laissé chaque souvenir se mêler à la chair du texte, que ce soit la brume d’une mer lointaine ou la chaleur d’un matin d’automne. Les mots naissent, ils s’élèvent, non pas comme des pensées, mais comme des événements vivants, façonnés par tout ce qui a été vécu. » (Rilke, Levain de nuit). 4. Écrire d’une manière viscérale, en modelant les mots comme on pétrit une matière brute. – « Je pécris, je pétris, j’écris, j’écrase, j'éreinte, je l’épaissis, je le mâche, je le crache, je le reprends, je le rend, prêt à trancher la masse » (Christophe Tarkos, Le Pétrin). – « Il pécrit la phrase, la tordille et la râpouille, la triture et l'empatouille, qu'à ses cris il s'exhultaille; il l’enroule et la dépiotte, la secoue comme un vieux linge ; il la grommelle, la martèle, la braille, jusqu’à à la fendure. Puis il la gicle, la glisse, la coupe en morceaux, la mélange et la pétrit encore. Et quand enfin la phrase s'amoncelle et soupire, il la reprend, il la bouboule et la pousse dans la fournaise » (Henri Michaux, Levain fini).

4 commentaires à propos de “#été2023 #02 | L’envol”

  1. Écriture quasi clinique d’un intérieur, à la fois Impitoyable et tendre. Prenant. Merci

    • Merci Muriel. J’ai plutôt l’impression de subir cette écriture clinique. Il y manque une forme de légèreté, ça respire mal et ce n’était pas spécialement voulu. Mais enfin, cela fait sens pour moi « impitoyable et tendre ». A creuser donc.

    • Merci à vous Clarence pour ces retours. Vécu comme tâtonnement d’écriture de mon côté.