Je m’avance sur le gravier clairsemé de l’allée, les petits cailloux s’enfoncent dans une terre fraiche et meuble d’où fleurit une herbe parsemée par endroit. Les cailloux ne font plus depuis longtemps le bruit de ceux clairs et abondants fraîchement répartis sur le sol desquels une fine poussière s’échappait et floutait l’air environnant par petites bouffées.
En périphérie, l’allée est bordée par des lauriers chétifs tapissés de feuilles ocres laissées là tout l’hiver et séchées par le soleil de printemps.
Je tente de rassembler toutes ses sensations qui semblent s’ajouter les unes aux autres par strates sans jamais se mélanger, et donne à ma marche ébrieuse un manque d’assurance à mesure qu’elles affluent à ma conscience.
Je suis seule. Le temps de vérifier que la clé est bien dans ma poche droite d’un effleurement froid teinté d’un bruit métallique, je suis déjà au niveau du jardin sur ma gauche et de la maison qui me fait face. Je monte les deux marches du perron, tourne la clé et attrape la poignée dont la surface étroite donne à ma main l’inverse de l’assurance d’un retour chez soi. Le vestibule est sombre et mène à une porte fermée, à ma gauche débute un escalier tournant dans lequel je m’engage. Je compte les marches à mesure que je les monte d’un pas lourd dans lequel j’essaye d’évacuer une petite nostalgie que je sens naitre dans ma poitrine. Onze marches, un plateau intermédiaire, deux marches supplémentaires et une dernière pour arriver à l’étage qui dessert deux chambres.
Je descends une marche et je suis dans l’une d’elle, la plus petite, l’atmosphère est chaleureuse et le volume de la pièce est à la mesure d’une « chambre à soi », ni trop grande, ni trop petite. Je la vois là, au bureau, penchée sur un carnet ouvert. Elle est assise sur le bord de la chaise comme en alerte d’une menace dont elle se protège par un corps légèrement dissocié qui prend les informations pendant que sa conscience s’en protège. La concentration qu’elle met dans son geste d’écrire est à la mesure de son besoin de remettre la réalité au travail dans l’après-coup. C’est à l’abri des murs de la chambre qu’elle défait la réalité en décalé, pour en comprendre quelque chose dans un langage visant à réconcilier une émotion et une parole, un sentiment et un silence, une retenue et un geste. Le miroir en pied derrière elle la reflète de dos, voutée sur ces mots qui s’échappent de l’étouffement originel d’une rencontre avec le monde qui s’est partiellement faite, surmontée d’une coiffure ficelée sommairement.
Les sensations qui se font flot, et qui pèsent sur la démarche. J’aime beaucoup.