Délires / Souffle
Bruxelles. Encore un atelier où j’aurai dû commencer par ruser. Où j’aurai dû commencer par nier. Nier la possibilité d’un lieu. Nier le lieu. Cela s’est imposé. Après des jours d’élucubrations inabouties. C’est qu’il n’y a pas de lieu au corps qui n’a pas nom. Ou de lieu qui ne soit de l’étendue de son corps. Ou encore : qu’il n’y ait à ce corps d’autre lieu que celui, imaginaire, du langage, tant qu’il est à portée de corps. Ou d’autre lieu que celui de la pensée. Ca serait à cause de la précédence de la sensation sur le nom, la sensation sans nom. C’est une hypothèse. Bien sûr, j’ai parlé des images aussi. Mais, les images sont une extension du corps. Juste, on n’y pense pas.
Avant l’annonce de tout lieu, il avait fallu poser cela. Un écart du monde.
Ce n’est pas qu’il n’aura pas de nom, le personnage, il en a. Si ce n’est que ce nom lui aurait été posé dessus comme l’étiquette du boucher sur le bout de viande de son étal. Quand bien même ça serait son préféré, au boucher, quand bien même il n’est pas loin de s’en montrer jaloux, lorsqu’il le pose son bout de bidoche, qu’il y appose son étiquette, il omet de la lui enfoncer et donc du bout préféré l’étiquette tient mal et à la première porte claquée – cette porte du boucher ne claque pas, au premier vent engouffré, bourrasque… Hélas. Avait t il craint de la blesser, le boucher. A moins, qu’il ne l’ait juste pas du tout mise l’étiquette du bout de bidoche précautionneusement posé sur le marbre, caresse rapide filée de sa poilue paluche, qu’il se soit dit Ma foi si ça se trouve point besoin d’étiquette, chacun reconnaîtra bien ma bavette, mon tendron, mon alouette, ma fausse araignée. Si ça se trouve…
Et donc à un corps précairement nommé, il faut commencer par dire quelle sorte de lieu est encore possible. Il faut prendre le temps de cette énonciation d’un lieu possible, d’un lieu existant. Celui du corps à sensations.
En vérité, peu de noms de lieux l’ont jamais fait rêver. Le déplacement a toujours fait obstacle. Et c’est pourquoi, comme je l’ai déjà dit, je pars peux en vacances. L’autrice ne part pas en vacances. Ou pas volontiers. Donc dire la possibilité, dire la permission, au monde, de l’a-géographie, de l’être a-géographique, c’est un objectif, à l’autrice. Dire l’adhérence à soi, à son lieu.
Comment dire l’immobile. Qu’est-ce qui dit l’immobile?
Evoquer pour le personnage la possibilité de sortir de lui-même.
De rentrer dans le monde.
C’est donc un texte aussi sur le dedans et le dehors, et c’est un texte qui doit être relu, parce qu’il a trop de mots. Il faut sabrer là-dedans, épurer.
Encore une fois, la consigne m’a confrontée à quelque chose que j’ai ressenti comme impossible, il faut des jours et des jours pour se confronter à ça. Et finalement foncer tête baissée, au petit matin d’une nuit d’insomnie, sans avoir jamais réussi à penser la chose. Et ce qui est sorti, c’est ce texte, donc, encore une fois, il s’agissait d’une invention.
Et l’apparition de quel personnage déjà là ? Selon la consigne : non pas description, mais déambulation d’une conscience, d’un regard caméra, vers un lieu, et, dans l’arrivée au lieu : découverte d’un ou plusieurs personnage(s) déjà là.
Il me semble que le lieu sera toujours celui de la présence et de la sensation. (Il y aurait le lieu aussi de l’image, pris d’ailleurs dans celui de la présence, y dressant ses écrans impalpables.)
Il y a la possibilité de mettre des mots, il y a l’inanité. D’un côté il y a la possibilité de mettre des mots, de l’autre, il y a l’inanité de toute chose. Il y a pourtant le goût des mots. Tout comme il y a la maladie des mots.
(Tu sais ce que tu ne sais pas, c’est que tu ne sais pas où avec le mot
commence l’angoisse. Comment, pourquoi.)
Il y a la pensée, comme lieu aussi, comme lieu d’habitation. Plus largement, il y a le langage. Il y a la possibilité du silence. Au cœur même de la rumeur. Celle d’une ville, si c’est fixer qu’il faut. Si c’est ce qu’il faut, arrêter. Il y a l’habitation d’un bruit quand il traverse le ciel ou une rue au loin, et que cela est rugueux ou métallique ou sourd. Les lieux me dépassent toujours un peu. Les lieux l’ont toujours dépassée. De la douleur ou du cri. Les lieux par où je vais vers toi. Que je quitte, dont je claque la porte.
Il y aurait bien cependant quelques lieux mieux circonscrits, des lieux comme des territoires. Et elle comme un chat. Il y a la circulation entre les lieux. Impossible (chuchoté). Il y a le transport entre les lieux. Les déplacements. Les valises et les trains. Il y a le passage d’un lieu à un autre, l’impermanence. Il y a les valises que l’on fait à la hâte et dans un temps qui paraît infini, les chaussettes jetées dans la valise, les maisons que l’on ferme. L’angoisse extraordinaire qui s’y lie. Le voyage toujours involontaire, toujours vécu comme un arrachement. Je suis dans cette valise au bout d’un bras que l’on transporte au-dessus du vide. Elle est chosette dans la valise. La délocalisation. Et alors, le moment de suspens, extraordinaire, une fois dans le train ou l’avion. Ou le tram. Ou simplement à marcher, entre 2 points. La liberté alors. C’est alors comme si elle était tenue? Tu dirais ? Tu dirais, elle est tenue, là, entre 2 points. C’est l’envers de nulle part? C’est ailleurs que nulle part. C’est ça, c’est ça. Et alors? On voudrait dire : l’abandon. Et alors? On voudrait dire : la vue. Voir. Elle voit? Et chaque moment de sa vision est caresse qu’elle reçoit de toute elle. Tu sais bien, le vent, les jambes, la générosité ressentie du monde. Avoir un corps? L’abandon, la possibilité d’abandonner ? Mais quoi? La vigilance, la défense. Oui, l’angoisse précède le départ, l’angoisse est celle de la valise, du déracinement, de l’abandon d’une part de soi. Une fois arrachée à la terre : elle flotte, elle est dans une autre immobilité, c’est autour d’elle que cela bouge, son visage qui se reflète dans la vitre du train où il est appuyé. C’est qu’elle est un peu comme ça : elle est lieu où elle habite. Les murs, le sol, étendent son corps. Ce qu’il y a de l’autre côté de la fenêtre étend son corps. La pluie, de l’autre côté de la fenêtre, qui tombe en paquets silencieux : son corps, sa vue (la bienfaisance).
J’écris depuis un lieu d’arrêt, de retrait. Où les lieux peuvent être sans nom. Où la vue est réception, où l’on met parfois des virgules et des majuscules, où le temps passe lentement. J’écris pour dresser les termes de ce lieu. Pour parler à quelqu’un.
Ce constat fait, il faudra cependant y revenir, ouvrir. Et pourquoi? Faire une brèche dans l’opacité du tout. De quelle opacité ? La lumière gardienne. Et pourquoi? Etendre, encore. Risquer autre chose. Et que ce soit comme guérir. Ou comme rire. Que ce soit comme rire. Au hasard. Trouer, s’avancer. Faire une brèche dans la lumière, qui contienne la lumière même, qui l’étende, la tire à l’intérieur d’elle-même. Pénétrer le dehors pour y créer du dedans emportant le dehors à sa suite. Peut-elle le faire? Elle peut le faire.
– Soi comme dehors, comme ouverture. Ouvrir l’ouvert en un point, en un point du partout plein, le pénétrer, créer dans le dehors qui est soi, du dedans entraînant le soi de dehors à sa suite. Tu crois vraiment que quelqu’un va te suivre, là, te croire. Je pense qu’il vont croire que tu te moques d’eux. Moi-même, je me donne mal à la tête.
Je redis, tout le dit ici dans ce que j’ai écrit : Je suis le dehors, je suis l’ouverture. Je dois, au hasard, refermer cette ouverture sur un point, y pénétrer, y entrer, entrainant à ma suite le dehors que je suis, et dans le dehors créer un nouveau dedans.
Ca n’est pas très important. –
Faire l’exercice de consentement, nommer, y consentir.
Trouver le moyen de consentir. Invoquer la magie.
Ou juste écrire.
On le fera.
Plus tard. On nommera la maison, celle qui est déjà là, dont les images appellent, rappellent. On verra si on y trouve encore quelqu’un.
On essaiera d’être ailleurs que nulle part. Ailleurs qu’à l’heure de nulle part.
J’aime cette approche réflexive sur l’écriture, le lieu de l’écriture : « J’écris depuis un lieu d’arrêt, de retrait. Où les lieux peuvent être sans nom. Où la vue est réception, où l’on met parfois des virgules et des majuscules, où le temps passe lentement. J’écris pour dresser les termes de ce lieu. Pour parler à quelqu’un. »
« (Tu sais ce que tu ne sais pas, c’est que tu ne sais pas où avec le mot commence l’angoisse. Comment, pourquoi.) » Si vrai !
Merci, Véronique !
merci à toi helena.
est-ce que ce passage m’a en partie été soufflée par annie dillard, c’est possible.
c’est une expérience très nouvelle pour moi. cet atelier, les consignes. elles vont toutes tellement à rebours de ce que je suis que je ne peux m’empêcher de réinterroger tout ce qui est proposé, à quoi mon écriture n’est pas faite, n’est pas rodée, et de ce fait à interroger mon écriture même, de quel bois elle se chauffe, à quoi elle accepterait de se plier, de sacrifier, où il lui tenterait de se risquer, les chemins qu’elle n’aurait a priori pas voulu prendre, ou pas osé….
enfin, peut-être que j’aurai toujours tendance, à commencer par dire non.
à chaque fois, ça me paraît impossible.
enfin, j’ai hâte de revenir, et d’élaguer…
« les consignes. elles vont toutes tellement à rebours de ce que je suis que je ne peux m’empêcher de réinterroger tout ce qui est proposé » C’est ce qui m’a attirée dans cet atelier quand je l’ai découvert en 2020. Tellement différent des autres. Une liberté créatrice qui me va en même temps qu’il me permet de m’aventurer dans des zones d’écriture que je n’aurai jamais explorées toute seule. Plonger en toute confiance ! Et comme tu l’as dit, écrire pour parler à quelqu’un.