Une fois la grande porte bleu ciel écaillé refermée derrière soi, on pénétrait dans un couloir qu’on ne distinguait pas dans un premier temps, plongé dans l’obscurité par un brusque contraste de luminosité. Un œil de bœuf placé au dessus d’un évier, dans un renfoncement, était la seule source de clarté de ce que je savais être un corridor, un simple lieu de transit dans lequel je ne restais jamais en station. Tout en courant d’air, il menait vers un ailleurs prometteur, la salle à manger à gauche avec son téléviseur qui, même en noir & blanc était d’un accès facile, loin du contrôle parental. Une grande cuisinière à bois en occupait le côté opposé, non loin de la cheminée, au milieu de la pièce, une grande table en bois massif formait le centre d’une piste autour de laquelle tous s’animaient : par jeu ou par devoir, on y passait le balai et les bêtes domestiques, chats ou chiens, s’y donnaient la poursuite, butant dans les jambes des uns ou des autres, poussés sans ménagement vers d’autres trajectoires. La porte d’accès, ouverte et alternativement fermée, créait des tourbillons de poils et des alizés qu’il était tentant de suivre. Je me retrouvais projeté comme dans un manège désaxé, changeant d’aire à chaque tour accompli. Le fond, à gauche, sous l’escalier ressemblait à un cul-de-sac menaçant près duquel je ne m’aventurais jamais seul. Une porte se découpait dans la noirceur : il fallait appuyer sur le loquet à poucier et derrière, une fois le lourd battant poussé, c’était le froid humide, gris et poussiéreux d’un cellier au sol de terre battu qui vous sautait dessus. S’y nichaient dans les coins incertains les créatures les plus sinistres, d’autant plus menaçantes qu’elles savaient se rendre invisible. On les supposait et l’imagination tendant son fil faisait le reste. Il en demeurait un sensation vague et dérangeante qui finissait par se diluer dans les occupations du jour et qui parfois, sans crier gare, resurgissaient la nuit, dans la bouche d’ombre d’un Christ en croix. Toisant la porte avec défiance, je ne m’y risquais pas cherchant du regard l’accroche d’un détail qui me tirerait de ce mauvais pas : l’étagère qui tombait du plafond et sur laquelle étaient posés les pots de confitures et des conserves de cornichon, plus sûrement le tuyau du grand poil coincé en bas de l’escalier qui partait dans les profondeurs des étages, là-bas, quelque part au-dessus. Surgissant des vapeurs de ce songe malsain, un souffle passait et entraînait tout dans son passage. Je suivais le petit bâtard de la maison vers l’angle noir de la cage d’escalier et me retrouvais sur le pallier au parquet poussiéreux : en face, la chambre où je dormais sous l’œil réprobateur d’un christ, la poire de l’interrupteur pendant, à portée de main, au-dessus du lit bordé d’une console. A gauche et à droite, les autres chambres donnaient toutes sud-est sur le petit jardinet devant le bâtiment. Les volets fermés, baillaient faiblement et laissaient à peine passer un filet de lumière. Dans la pénombre, les lits aux lourds édredons et les tables de toilettes avec leur brocs respiraient en silence, la neige tombait en suspension de boules agitées et vite reposées. La vie était ailleurs dans l’électricité des membres pris dans un mouvement perpétuel. Un instant, bref, juste l’accommodement des yeux, et le pizzicato de la course et les griffures des pattes sur le bois des marches, m’engageaient dans la montée suivante, un escalier plus étroit que le précédent et une chaleur stagnante qui tombait d’un coup sur la tête tandis que je m’accrochais au fanal blanc de la queue du chien qui s’agitant bâbord – tribord dans l’ascension. On émergeait alors dans la poussière et les toiles d’araignées qui s’accrochaient au cheveux. Le regard cherchait de nouveaux repères, une nouvelle assise, passait d’un point à l’autre, des bocaux vides accumulés, des caisses de journaux, La nouvelle République, Miroir du sport et encore d’autres objets aux formes, aux fonctions et à l’utilité incertaines. Un kaléidoscope de lumières et d’ombres entrecroisées. Des éclats blancs tombaient des lucarnes découpées dans le toit et aussitôt après un voile gris. Il fallait rassembler ses sens et ses pensées, sortir de cette sorte de torpeur, et se forcer à suivre encore le remuement qui nous avait mené jusque là. Un guide, la trajectoire du chien, ses halètements et des bruits, d’autres bruits, un juron. Elle se redressait, en équilibre précaire, dans une blouse à motif fleuri et vous accueillait le visage rubicond d’un sourire tout plein.