Je retrouve la route en direction du centre du village. Lorsque j’étais enfant, le centre, c’est à dire l’école, devenait incertain à mesure qu’on s’approchait de la colline avec son bois au sommet. Je sais l’avoir gravi tellement de fois sur mon vélo mi-course pour rejoindre l’école communale. Je dépasse le large chemin blanc sur ma droite qui rejoint cinq cents mètres plus loin les grands bois. En face de moi une vague haute de blé déferle, et immerge déjà tout un vallon d’un jaune paille formant harmonieusement le creux d’un ventre qui est prêt à nous couvrir, bientôt va nous cajoler, un voile qui s’étend de tous les blés. Sur ma droite un horizon se dégage sur des lignes à haute tension qui parcourent le ciel déjà loin vers les grands bois eux-mêmes dépassés par la marque sombre des hauteurs du coteau, un horizon suspendu. Au-delà je devine où toutes les lignes à haute tension se rejoignent, la centrale électrique aux abords de la route de Saint-Jean-d’Angély. À gauche je ne reconnais pas ces arbres qui poussent dans le pli du ruisseau continuellement à sec qui sépare en une ligne invisible le fond du vallon. Je suis enveloppé par les blés. Les sons qui se propagent se signalent derrière moi, des vrombissements dans le lointain. J’avance. Une force surprend mes jambes, la déclivité de la route rejoint la dépression avant la côte. Pour gravir ce qui semblait un coteau abrupt, à cet endroit il fallait prendre tout l’élan possible avec nos vélos de course pour que nos forces nous donnent le courage de poursuivre cent mètres plus loin le segment pentu de route qui longe le bois. Je remonte déjà, la montée est douce. Le fossé sur ma droite se creuse, un talus commence à border le chemin, dessus les arbres n’ont jamais bougé. Le bosquet épouse le virage qui se tord sur la gauche forme une masse sombre qui s’élance aussi vers le ciel de cinq individus, deux ormes champêtres, un érable sycomore, puis deux autres espèces plus petites qui sur la partie la plus haute du talus se confondent dans la masse du bois qui surplombe à gauche la colline. Les roues des vélos qui plongent dans l’autre sens sifflent à toute allure. Et quand la plainte des freins se fait entendre sur ce tronçon en ligne droite, on discerne cette sonorité stridente de mouvement circulaire. Sa silhouette pénétrant à vive allure l’ombre du bosquet, se rapproche de moi, elle est debout sur les pédales, puis elle vient se pencher en avant, fait se rejoindre sa jambe gauche sur le pédalier droit, garde ses deux bras sur le guidon, puis court à côté pour ralentir définitivement sa course.
D’abord le passé et le présent « roulent » côte à côte, puis commencent à se confondre et deviennent indiscernables. Ai-je bien compris ? Cette silhouette appartient-elle au présent ou au passé ? En tout cas, la description du lieu est la pièce maitresse du récit. J’ai beaucoup aimé.
Helena, ton analyse est très perspicace; je voulais que cette rencontre puisse se faire hors du temps, et même si la silhouette se rencontre effectivement au passé, le doute doit être permis. Vraiment merci pour ton retour, ton appréciation.
« En face de moi une vague haute de blé déferle, et immerge déjà tout un vallon d’un jaune paille formant harmonieusement le creux d’un ventre qui est prêt à nous couvrir, bientôt va nous cajoler, un voile qui s’étend de tous les blés »…
Retrouver un lieu depuis le souvenir du corps à vélo, le bruit qu’il faisait à divers moments de la course… C’est neuf pour moi, cette lecture. Belle idée, merci, Michel.