Après le centre-ville tout entortillé sur lui-même, mairie, église, cimetière, gendarmerie, la montée vient vite, brutale. Cà grimpe sec et ma voiture, qui aime filer sur les voies rapides de l’autre côté de l’île renâcle à emprunter les lacets serrés. Il faut garder le pied à l’accélérateur, tout en avançant prudemment. Les deux mains sur le volant. Etre prêt à aborder chaque virage, chaque palier d’altitude. Je suis probablement inquiète, mais prise par les aléas de l’ascension, au moment où le jour décline trop vite. Toute la tension s’accumule au bas de mon dos. Rien ne se passe plus haut.
L’air chargé d’humidité s’engouffre par la vitre baissée. C’est tout autour, un silence rempli de bruits, la basse obstinée de la faune, dissimulée dans les sous-bois, le tac-tac hardi d’ insectes solitaires, appels et réponses d’un bout à l’autre de l’orchestre, le frémissement des larges plantes vertes alourdies par la bruine, et de temps à autre, le rugissement d’une voiture qui descend.
Je regarde à droite et à gauche à la fois, les panneaux qui signalent que je suis dans la bonne direction. Je n’ai pas utilisé la géolocalisation. Il me semble toujours devoir garder la main, ne pas déléguer, et rester les pieds sur terre.
Les ponts arrivent par surprise, circulation périlleuse, une seule voiture à la fois. La flèche blanche l’emporte sur la flèche rouge. Ralentir et s’avancer, lentement, après s’être assuré que la voie est libre.
Au détour d’un virage, une ou deux habitations isolées annoncent l’approche d’un hameau, un lieu-dit. Rue Monte-au-Ciel. Route de la chapelle. Point de vue. Voie sans issue. Une école de quartier, barrières de protections colorées, fresques naïves aux murs. La chapelle, toujours bien entretenue malgré sa position aux antipodes. Ne viennent jusqu’ici que les causes désespérées.
Mais ma destination se trouve encore plus haut. A la sortie du hameau, un panneau fléché indique comme prévu Les Hauts de M…. A flanc de volcan, à l’écart de l’agitation du bas-monde. La route redevient parallèle au niveau de la mer, tout en bas. Elle s’élargit et se pare d’arbres imposants. Derrière le portail grand ouvert, l’éventail de l’arbre du voyageur fait signe au noble aventurier. Plusieurs voitures sont déjà rangées le long de l’allée. Je me gare entre deux berlines élégantes et, après avoir vérifié mon maquillage dans le rétroviseur intérieur, à la lumière du plafonnier, je descends très vite avant de changer d’avis une fois de plus. Hors du cocon de l’habitacle, tout m’est fabuleusement étranger.