Ça doit être son premier ou son deuxième « burn out » puisqu’il fait jour et qu’elle est encore chez elle. C’est d’ailleurs par-là, entre les deux premiers, qu’elle a commencé à percevoir les mouvements de mode diagnosticaux. C’était au tout début de la vague tsunamique du « pervers narcissique », elle s’en souvient parce que, finalement, elle en avait enfin souri. « S’ils veulent… » s’était-elle soufflée à elle-même, ou plutôt avait-elle soufflé hors d’elle, comme pour ne pas que ça la fasse encore étouffer de l’intérieur.
Elle était assise à l’ordinateur, le premier. Elle avait attendu sa première paye pour se l’offrir, enfin. Une fois qu’elle n’avait pas demandé à sa mère de lui en acheter un, elle lui avait dit « il n’y aura pas d’ordinateur à la maison, vous vous débrouillerez. » Et c’était vrai qu’ils s’étaient tous « débrouillés ».
Bref, elle est à son ordinateur, il fait jour, elle a mal mais ne sait plus où exactement, elle est tellement fatiguée qu’une de ses sœurs est venue lui donner la becquée la veille, elle n’arrivait même pas à soulever une petite cuillère.
Il est allumé, elle ne se souvient pas qui ni comment, mais elle est devant son ordinateur, un fichier Word ouvert. Une page presque blanche. Presque parce que le texte qu’elle va écrire est déjà « dans l’air ». C’est un peu comme si ce n’était pas vraiment elle. Comme si les images qui flottaient autour, profitant de son état totalement passif, passaient à travers elle pour rejoindre l’écran. Elle se souvient d’un chemin boueux à l’aube ou au crépuscule, ou les deux, un soldat dans lequel elle était et de sa main qui plonge dans le cou béant d’un cheval à la tête coupée mais debout et en ressort couvert de sang bleu.
Le texte, le fichier, l’image, les mots. Tout perdu. Reste juste le bleu sur le bras, cette couleur, cette épaisseur du liquide couvrant toute la peau, visqueux et réconfortant. Elle se souvient surtout qu’elle se sentait mieux une fois le texte écrit sur l’écran.
Le pouvoir de l’écriture. C’est très beau
Une de mes phrases rituelles journalières parle de « dépasser le pouvoir » pour trouver « la puissance ». J’ai peu à peu identifier le pouvoir à une espèce de croyance individuelle en ce qu’on peut faire à abandonner pour se fondre dans qq ch de trop grand pour être enfermé dans un mot ou même une pensée. Étonnamment, ça m’a soulagé…