De la chambre voisine résonne sans discontinuer la même ligne mécanique de doubles triples croches de son métallique. Il y a l’odeur âcre du tabac qui plane. Tintement des retours à la ligne, cliquetis de la barre d’espacement, bruit de râpe de la molette du chariot en retirant le paquet de feuilles blanches et de papier carbone. Les cent pas à se relire à haute voix. Le volet roulant de la fenêtre se baisse, se baisse, se bloque.
La porte s’entrouvre sur le bureau et la machine, tout son poids en fer, couleur grise ou vert-de-gris, probablement un modèle allemand, peut-être une Continental. Mes doigts se posent sur les touches, dosant la force à faire se mouvoir les barres à caractères. Simultanément elles se coincent. De l’encre noire sur les doigts, j’appuie latéralement avec ma main sur la barre en métal du chariot, tintement du retour à la ligne. Puis la première page sur la machine à écrire, un texte sur Christophe Colomb destiné à être photocopié pour les copains.
La première fois, je veux par nécessité et défi répondre à cet appel à projets. L’intrigue se déroule dans le décor unique d’un château restauré que je connais. Mon bureau est calme, mon ordinateur portable silencieux, et les scènes dans ma tête défilent par vagues d’images que je m’attelle à consigner. Je finis par avoir quelques chapitres cohérents. Cependant, je ne traite qu’en partie les consignes de la commande. Le château s’efface, laissant toute la place aux personnages qui épousent mon histoire personnelle. Le film se rembobine, je réécris. La date butoir m’oblige à finir plus rapidement. Je manque d’expérience; impossible de prendre la distance critique avec mon récit. J’envoie quand même les dossiers reliés en six exemplaires, avec la satisfaction d’avoir produit du récit.
J’adore le bruitage du début qui se change en silence dans la seconde partie. Merci.
pour moi c’est à chaque fois troublant de reconstituer ce passé et de l’entendre si sonore. Merci beaucoup Anne.
Nous aussi on a de l’encre partout sur les mains et ça claque à chaque retour chariot, le tintement
comme Anne, j’entends tout…
une commande, un scénario… mais sera-t-il retenu ?
Merci encore d’être passée me lire!
J’ai longtemps utilisé une machine à écrire. Et je réalise aujourd’hui, grâce à ce texte combien c’était différent. Peut-être un côté plus définitif aux mots, aux phrases. En fait je ne sais pas, mais vous le dites.
Merci beaucoup Isabelle pour ces mots en retour. Je reconnais que l’expérience précoce de la machine à écrire a participé de mon envie d’écrire.