Des mots maudits, nauséeux, j’en remplissais des fichiers et des fichiers, crachés sur mon logiciel de traitement de texte, frustrations qui tournent, poids des années m’écrabouillant le crâne, se terrer, se taire, n’avoir plus personne à qui parler, le refus d’un monde qui me faisait peur. Ecrire, ça me servait à quoi ? Je ne m’étais pas vraiment posé la question. Pour moi, c’était évident. J’aimais ce pouvoir sur les mots. La liberté de mener les choses comme je le voulais. Créer, prendre ce qu’il y a en soi, sortir ses tripes, mettre tout ça sur la table. Mais je pense qu’avant tout, il y avait la promesse d’une élévation sociale. Faire oublier d’où je venais. Mes origines. Mes difficultés scolaires, aussi. Il y avait, dans la maitrise de la langue, comme une victoire. L’enfant minable que j’étais, aux résultats scolaires déplorables, avoir sa place auprès des plus grands, j’en rêvais. Mais à part ces enjeux, il n’y avait pas vraiment d’enjeux. Mais de l’orgueil. Des mondanités. Des postures. Je m’étais inventé un personnage qui n’était plus moi. Qui se fuyait. C’était un autre. J’étais cet enfant de Syriens singeant les grands auteurs sans savoir ce qu’il faisait, qui voulait sa part du gâteau sans y avoir droit. Alors j’ai commencé à me taire, à m’empoussiérer. Il y avait ma santé mentale en lambeaux. Des difficultés qui grandissaient. Ca avait toujours été là. Ca a pris toute la place. Parler. Il fallait. Mais comment. Lâché par toute volonté. Rongé par mes échecs. Des migraines et des douleurs. De la colère. Des regrets, vieux de plusieurs siècles parfois. Millénaires de doute. Cette impression que plus rien ne pouvait être dit. Que ça ne servait à rien. Je ne savais plus comment faire. Et le monde me faisait peur. Mes textes me semblaient vains, mal branlés. Partout, je cherchais du réconfort. Je le craignais, le monde. Militantismes abjects de toutes parts. Destructions. Un monde en tension. Moi-même je me craignais. Il y avait de la colère. De la honte. Honte de ma mauvaise foi. Honte de ma santé mentale. De mes origines. Un bazar interminable. Chaos. J’ai écrit, écrit des pages et des pages et des pages de pensées fragmentaires, mots maudits nauséeux, ça allait dans tous les sens, et plus j’écrivais, plus je m’asséchais. La littérature, ce n’était plus pour moi. Ca a duré quelques temps. Des mois, des années, des siècles, je ne sais plus. Millénaires de doute. Puis un jour, c’est revenu. Comme ça. J’ai recommencé. Les mots défilaient, pleins de ma douleur, une douleur enfin féconde, et j’avais envie de parler à cette humanité pleine de doutes, pleine de regrets, pleine de peurs, de mauvaise foi, de honte, comme moi. Enfin, je comprenais ce que je faisais, et pourquoi. Enfin, tout est devenu simple. J’avais une mission.
Hyper touchant. Ecrire pour s’élever socialement. Et puis l’orgueil, la colère, les regrets, la mauvaise foi, la honte. Avec au final ce sentiment de comprendre pourquoi on fait les choses. Alors écrire.
Merci pour ce commentaire. C’est le résultat d’un questionnement sur moi. J’ai accepté de me regarder dans la glace.
Quitter la posture, quitter l’imposture, écrire en marge de tout ce qui a été mal imaginé ou déformé , écrire très exactement ce qu’il s’est passé , dans ce passé trop lourd, disqualifiant, et sortir la tête de la loterie des mérites. L’orgueil de prestance, le manque d’humilité devant l’humiliation, nous l’avons tous et toutes vécu, à des degrés divers. La solitude ou le retrait de renoncement c’est d’une pénibilité que peu ont envie de subir. Et on peut comprendre le traquenard que ça peut inventer et imposer.Cet atelier d’écriture peut servir i à se débarrasser des carapaces du conditionnement social et familial, à prendre ses distances en retissant d’autres liens, moins aliénants, moins conditionnels. C’est bien de vous rencontrer Jad, et d’aller sur de nouveaux chemins d’écriture. Il y a de quoi sortir de l’impasse et des frustrations à conjuguer au passé.Si ça dégaze encore un peu, tant pis. En réduisant les ambitions, on réduit aussi la pression. Je termine par cette citation de Zibaldone de : « Il est indubitable que les jeunes gens souffrent plus que les gens âgés, et qu’ils sentent beaucoup plus que ces derniers le poids de la vie dans cette impossibilité où ils sont d’employer suffisamment leur force vitale » 1er Juin 1823. https://fr.wikipedia.org/wiki/Zibaldone
Merci pour ce commentaire. Cette année a été assez riche. J’ai eu le sentiment d’avoir dépassé certaines difficultés. J’en ai encore, mais ça va beaucoup mieux, et ce qui m’aide, c’est la littérature, l’écriture, et particulièrement cet atelier, le fait d’échanger avec des auteurs et des autrices. Il y a eu des moments de doutes, mais là, j’ai progressé.
Je suis touchée par ce regard sans fard, un langage percutant. Merci encore.
Merci Jad pour ce texte, ce chemin tortueux et difficile qui mène à l’écriture et qui, pour advenir, lève les barrières, celles que la société dresse, celles que l’on intériorise et finit par accepter. Qu’il faut dépasser pour faire résonner ses propres mots si singuliers et pourtant si universels