Le ciel est bleu. Tous les matins ces derniers jours, le ciel est bleu. Il est bleu longtemps déjà avant qu’il ne s’assoit, avec pour seul compagnonnage les hoquets et les râles de la cafetière. Tout se joue de l’autre côté derrière les vitres. Comme souvent les arbres gîtent, instables, pleins des rumeurs d’un vent qu’il devine dans le balancement des cimes et dans le vol désordonné des goélands. L’œil se fait vide, capte ces stridences de blanc qui déchirent l’écran tendu de bleu bordé de toits et de cheminées et puis au loin un bâtiment massif, l’hôpital, que l’on distingue parfois dans le remuement des cimes. Pour écrire, l’esprit doit d’abord s’écrire une trame fragile dans cet encadré d’extériorité, le confisquer et le convoquer en soi.
Tous ces bruits de l’immeuble, il faut les laisser flotter, le claquement des portes, les claquements des pas dans les escaliers, les voix enfantines et celles des adultes qui les pressent. Et puis, d’un coup la conscience d’un suspens avec quelque part mais plus loin la rumeur de la ville et le soleil qui frappe ses rayons sur la façade blanche de l’immeuble en face. Le regard revient vers l’intérieur, la pièce où il était installé. Le temps a passé, la cafetière s’est tue, l’affichage digital de la cuisinière le regarde et il cherche des traces signifiantes dans les signes venus du dehors, un filet de lumière oblique ou l’ombre grise d’une aile passée dans les criaillements. Il choisit souvent ce moment-là pour se lever et aller chercher son ordinateur à la coque d’un noir mat, de l’autre côté. Pour lui l’écriture n’a pas de lieu, seule compte cette instabilité et ce fil qu’il a encore tendu ce matin comme à chaque fois, quoiqu’avec d’autres signes qu’il a repris à la vie par ses sens et par capillarité.
Parfois, comme ce matin bleu, il regarde par la baie vitrée, celle du salon, et son œil s’accroche dans l’éclat du plexiglas qui borde le balcon. La lumière s’y diffracte, à certaines heures,– le jour n’a pas encore écrasé le parc en bas d’une blancheur brutale – comme ce matin ; alors il se fige et contemple la rosée d’argent prise dans la toile de la brisure. Il frisonne un peu de l’étrangeté de cette situation : la vie tout autour, pas bien loin mais quand même ailleurs continue et lui qui est-il pour ce faire ce pas, pas bien grand et pourtant qui le met en retrait ? Il en retire toujours un mélange trouble d’orgueil et de honte et ce matin encore, il entend raisonner les mots de sa mère : « t’as pas mieux à faire ! », et ça continue comme un acouphène qui finit par s’épuiser et s’arrête aussi soudainement qu’il était arrivé. Cette voix venue du passé n’est plus une voix, elle n’a plus de timbre, plus de consistance propre. Elle est désincarné, vidée de sa charge affective, un lieu commun qui lui sert à conjurer le temps qui court.
Le vert cru – presque obscène – de la pelouse fraîchement coupée le tire hors de la rêverie. Sa bouche se tord d’un bâillement dégoûté. Il retourne, l’ordinateur coincé sous le bras, vers la clarté aveuglante de la cuisine avec au bout le ciel et le bleu.
Deux phrases m’interpellent.
« Pour lui l’écriture n’a pas de lieu »
Chez moi non plus. Ou plutôt : c’est la musique qui est mon embarcadère.
Et puis, évidemment, surplombant le reste, pour moi :
« il entend raisonner les mots de sa mère : « t’as pas mieux à faire ! », et ça continue comme un acouphène qui finit par s’épuiser et s’arrête aussi soudainement qu’il était arrivé. Cette voix venue du passé n’est plus une voix, elle n’a plus de timbre, plus de consistance propre. Elle est désincarné, vidée de sa charge affective, un lieu commun qui lui sert à conjurer le temps qui court. »
Bonjour Florent,
Mais qui le regarde avec tant de soin cet auteur plein de contradictions… La suite le dira, alors on attendra.