Christine and the queens, elle a vu la fille qui écoute ça doucement le soir dans le jardin d’à côté. Les matins, elle la croise au marché devant la fromagerie, à gauche. Elle a peur de lui parler, pourtant elle aimerait bien mais elle ne sait pas, pas plus que quand elle venait ici très jeune. D’ailleurs, elle ne parlait à personne, elle parle à si peu, elle est seule avec son texte. Elle lui plaisait par défaut cette solitude, elle aurait aimé parler aux autres enfants mais ne savait comment les aborder et, si passés les premiers mots, entretenir une discussion lui était montagne infranchissable. Elle ne se doutait pas qu’elle deviendrait son habitude, qu’elle ne supporterait plus personne et que ça le ferait souffrir.
Elle est ici parce que, pour écrire ça, elle a besoin de la mer à portée d’oreille, elle l’entendrait presque d’ici, derrière la dune, elle a besoin d’oiseaux, elle a besoin de sentir l’envie de résistance, la solitude, de résister à l’envie de filer dans la rue, résister, ne pas aller au plus simple. Elle se demande si elle n’a pas fait une erreur en revenant seule dans cette petite maison. Seule, pas tout à fait, il y a son passé. Petiote, elle se cachait derrière cette fenêtre pour regarder passer les gens dans la rue faisant bien attention à ce qu’on ne le vit pas. Cette maison c’est sa liberté, celle qu’elle imagine avoir eu dans son enfance, dans son adolescence, loin de la ville, le soleil parfois pour seul compagnon, des jours entiers. Un paradis fantasmé, prison aussi, elle en est partie dès qu’elle a pu. Elle a accroché quelques petits tableaux sur le mur à sa droite, une table, un ordinateur, une liaison 5G qu’elle dispatche de son portable.
Et l’odeur. D’enfance, la campagne presque, années 50-60, l’enfance, leur maison à eux, leur rêve de vie, idée de bonheur, ils allaient y vivre tous les cinq, cité des fleurs… A gauche de l’entrée, un buisson de troènes, inoubliable senteur de début d’été, les hannetons y venaient butiner, voler autour. Ça existe encore les hannetons ?
Aujourd’hui, maintenant, à peine à un mètre d’elle, derrière la fenêtre, un troène encore, fleurs juste ouvertes, les abeilles ont remplacé les hannetons, elles s’y abandonnent, y bourdonnent, une remonte le long d’une branche verticale, s’arrête au premier bouquet, elle a tout son temps, passe d’une fleur à l’autre, charge ses pattes, elle attrape les jumelles et la regarde, essaie de la regarder plutôt, à cette distance, c’est quasi impossible, champ de vision trop étroit, profondeur de champ imprécise. Parfois il y en quatre ou cinq et soudain plus personne, où vont-elles déposer toute cette richesse ? Elle devine Christine and the queens juste à côté.
Elle a envie de plonger dans un texte, se laisser aller, un challenge, se laisser porter vers le passé sans que ce soit le passé, elle ne l’aime pas, elle n’aime pas l’idée de retour, serait-ce par la pensée. Le temps ne lui est pas compté, elle s’assoit quand elle en a envie, ne sait jamais ce qu’elle va écrire, parfois du haut de la dune elle regarde la mer mais cette immensité ne lui va plus, elle s’en fout, elle préfère le troène si proche, c’est son horizon, elle ne sait rien de ce qu’elle veut. Ce serait penser tout à la fois, la grande ville, Morlaix, la petite maison, la résistance, le camp de regroupement, la fuite, le désir de liberté, l’après-guerre, les oiseaux, les bateaux, le troène, les abeilles, les synchronicités. Il lui faudrait raconter tout ça, portrait de l’artiste en artiste.
Sur l’écran, elle lit Le début de la sagesse consiste à se trouver un soir. Un soir pour rêver de jour, avoir la nuit pour imaginer le lendemain, se trouver un soir. Elle relit, en fait le début de la sagesse c’est de se trouver un toit. C’est bien aussi mais moins titilleur d’imaginaire. A gauche, un chèvrefeuille, des pigeons gris se balancent sur un prunus tout rouge, des chats lambinent, une mésange passe le bec. C’est presque l’été, il fait déjà chaud, il y a cette inquiétude de manquer d’eau. Se trouver un soir c’est un beau début.
quelle grande solitude et quelle ambition de vouloir raconter tout en même temps. Je trouve ça beau.
Merci Emmanuel. A mon avis, elle va pas y arriver mais laissons venir.
vaste projet que cet ample début ! si elle est accompagnée par CATQ elle a moyen de faire un beau voyage littéraire… et puis en Finistère Nord, terre de départ et de retour… bon vent Bernard !
J’écoute son dernier album en boucle, beau compagnon de voyage. On verra si ça dure. Merci Gwenn.