Écorché vif, rebelle à la modernité, admirateur de Samuel Beckett, de Richard Brautigan et de William Faulkner, Victor Clément n’était rien de tout cela. Il aimait les gens raisonnables puisqu’il en était un et appréciait, toujours avec mesure, ce qui faisait sa personnalité. Discret. Réfléchi. D’une humeur plaisante, toujours égale.
Victor menait une vie confortable dans un bel appartement parisien. Il venait de quitter le travail qu’il faisait depuis 18 ans à la logistique des transports franciliens. Sa famille et ses amis avaient soutenu son projet avec enthousiasme. Victor avait pris soin de les préparer à ce changement de vie. Une lettre hebdomadaire les tenait informés des étapes diverses qui l’y menaient. Aucun d’eux n’aurait pu s’inquiéter.
Le petit studio qu’il avait acheté se trouvait à Montrouge, à quelques pas de chez lui, de l’autre côté du périphérique. Il était neutre et impersonnel. Suffisamment étroit pour ne contenir que l’essentiel de ses livres. La pièce n’avait qu’une fenêtre, sans vis-à-vis, mais sans réelle vue non plus. Un immense mur de briques s’érigeait de l’autre côté de la rue. Nu, comme les coulisses d’un décor de théâtre. Victor avait choisi un mobilier simple, sans confort excessif. Il pensait que rien autour de lui ne devait l’éloigner de sa tâche.
Il écrivait du lundi au vendredi, aux horaires de son dernier emploi. Il faisait peu de pauses. Le style qu’il déployait à l’écrit n’avait rien de singulier. Victor ne souhaitait pas briller par sa prose mais par l’utilité des récits qu’il déployait. Il était peu inspiré mais ne cherchait pas à l’être. Il n’écrivait pas par égo mais par soucis du travail bien fait. Il fallait que ses ouvrages soient fonctionnels, qu’ils puissent être lus par le plus grand nombre. Les romans de sa petite bibliothèque étaient de la même espèce. Des livres qui faisaient le job, qui se devaient d’être aussi efficaces qu’une ligne de train de banlieue. Victor n’écrivait pas pour des lecteurs mais pour ses usagers.
Son studio se trouvait au dernier étage d’un immeuble moderne. Le voisinage était calme et civilisé. Sur le même palier vivaient un couple et leurs deux enfants. Le soir, avant de rentrer chez lui dîner, Victor aimait écouter les bribes de son qui lui parvenaient de ses voisins. Ce qu’il entendait ne le surprenait jamais. Tous étaient des personnages qu’il aurait pu écrire. Des monsieur madame tout le monde que les gens appréciaient retrouver dans leurs lectures. Des gens sans histoires, comme Victor. Le soir, avant de rentrer chez lui dîner, Victor se réjouissait à l’idée que rien ne pouvait lui arriver.
bah oui, écrire comme on va au charbon, y a beaucoup de sagesse et de réalisme dans ce texte,et en plus,très utile !
Beaucoup aimé cette description d’écrivain/fonctionnaire public appliqué à sa tâche, sans ambitions.